• N’y a-t-il d’autre choix qu’entre l’étatisme et le néolibéralisme ? (Les communs)

                            Compte rendu de la séance du samedi 4 février 2023?

                     

    Point de vue politique

    Entre les excès de l’étatisme tels qu’ils se présentaient en l’URSS et ceux de l’économie de marché, ce libéralisme forcené que certains qualifient d’ultra-libéralisme, un juste milieu doit être trouvé. Il en résulte des excès dus par exemple à la recherche acharnée de la compétitivité. Cela nécessite régulation. D’autres qualifications existent pour désigner ce système, ordo-libéralisme par exemple. C’est la manifestation de cette nouvelle forme de capitalisme, le capitalisme cognitif qui a succédé au capitalisme industriel.

     

    Point de vue économique

    Il faut lever une ambiguïté : le marché est un lieu d’échange de biens et de services entre producteurs et consommateurs. Ces biens ne sont pas nécessairement des biens communs et le marché n’est pas le seul mode d’échange (le don par exemple).

     

    Point de vue comptable

    Une controverse se développe sur la question de la comptabilité. Pour la plupart des spécialistes la comptabilité est un objet politique (« les normes comptables sont la grammaire de l’économie »). Elle met l’accent sur ce qui est important dans la société. Dans notre système comptable (PCG) les trois facteurs de production, terre, travail, capital d’exploitation, compris comme des marchandises, ne sont pas traités également : c’est le dernier qui est favorisé. Conçu comme une dette à l’égard des fournisseurs de capital, il est inscrit en haut du passif du bilan et doit être optimisé sans prendre en compte l’amortissement et la reproduction des capitaux naturels et humains, considérés comme de simples moyens à exploiter et non comme des fins. « Là où l’on voit du profit, il y a souvent des dettes » (cit.). Par ailleurs le PCG ne prend pas en compte les externalités.

    Pour remédier à cette inégalité préjudiciable aux milieux naturels et aux travailleurs, il faut reconsidérer le capital en réintégrant dans le bilan comptable ce qu’on leur « doit » (au moins leur coût de conservation et de maintien). C’est l’objectif recherché par certaines initiatives comme « la comptabilité adaptée au renouvellement de l’environnement » (CARE).

    Tous les participants au débat ne partagent pas ce point du vue, avançant notamment que la comptabilité est la photographie réelle d’une unité économique (entreprise, association...) qui la caractérise. Il n’en demeure pas moins qu’elle comporte une grande part d’arbitraire. Sont citées les nouvelles normes internationales (IFRS) qui favorisent les intérêts des actionnaires, les comptes de l’agriculture qui occultent l’importance de « l’économie grise », c.-à-d. de toutes ces activités non comptabilisées mais qui souvent contribuent à la viabilité des exploitations agricoles (autoconsommation, autofournitures, échanges de prestations...).

     

    La question des brevets

    Elle a longuement été débattue. Dans l’approche par les communs leur justification est mise en doute. Certes il est souhaitable d’être propriétaire des fruits de son travail (Cf. Locke). Pourtant rien n’est créé à partir de rien : ainsi la découverte d’un vaccin par un laboratoire résulte des connaissances acquises antérieurement et du travail des salariés de l’entreprise. Prendre un brevet c’est obtenir un droit de propriété sur la propriété d’autrui. Dans ces conditions l’invention d’un vaccin ne devrait-elle pas être considérée comme un bien commun ?

    Cette proposition suscite des désapprobations. On cite l’exemple de ces entreprises, les GAFA, créées par un individu dans un garage à partir de rien. Le mérite quasi exclusif en revient à leurs inventeurs. On évoque aussi le cas de la propriété intellectuelle et des innovations qui apportent des améliorations à des produits déjà existants (valise à roulettes).

    Mais d’autres arguments confortent la critique des brevets. Au lieu de faciliter le progrès des connaissances et des innovations, ils peuvent au contraire les paralyser : exemples donnés des embargos sur la divulgation des résultats, imposés par les grandes firmes, même lorsqu’elles bénéficient de crédits de recherche publics. Pis, on peut acheter des brevets non pour les exploiter, mais pour que les concurrents ne puissent pas y accéder.

    Enfin est cité le cas particulier des Certificats d’obtention végétale (COV) qui garantissent la propriété des sélectionneurs de variétés végétales (monopole de vente), tout en permettant aux agriculteurs de ressemer le produit de leur récolte et aux chercheurs d’utiliser ce matériel génétique. Une des plus grandes craintes suscitées par les OGM, n’était pas le risque alimentaire, inexistant, mais celui de créer des plantes stériles (gène « terminator ») empêchant les agriculteurs de ressemer le produit de leur récolte.

     

    La santé, la vaccination

    Selon que l’on considère que la santé est un bien privé ou un bien public, les conséquences qu’on en tire sont différentes La question n’a pas vraiment été abordée (NDR : voir annexe au CR).

     

    La gestion de l’eau

    Quelle est la nature de ce bien ? Après la sécheresse de 1976, les agriculteurs se sont massivement équipés d’installations d’irrigation. Dans l’état du code rural de l’époque aucune limite n’était imposée au pompage (nature de biens collectif). A partir de 1992 on a pris conscience de l’épuisement de cette ressource ce qui aurait dû lui conférer le statut de bien commun, donc soumis à règlements d’usage. Mais les droits acquis ont perduré. On en a vu récemment les conséquences (affaire des « bassines »). NDR : on notera que, sauf exceptions relatives aux mines, « la propriété du sol emporte celle du dessus et celle du dessous » selon le Code civil. 

    On constate donc que la nature d’un bien ne suffit pas à caractériser un statut. C’est au niveau politique que celui-ci doit être pris. Un exemple emblématique est celui de Naples où la population s’est opposée à la privatisation de la distribution de l’eau, décidée par le gouvernement sous l’injonction de la Commission européenne et a créé un collectif de gestion en commun. En France la gestion de ce bien en régie publique est souvent plus efficace et moins coûteuse que la gestion déléguée aux grandes firmes privées de ce secteur (les Landes, département pionnier).

    Parfois les arbitrages entre biens communs suscitent des controverses. L’exemple récent donné est celui de la microcentrale hydroélectrique de Sallanches qu’un jugement du tribunal administratif condamne à la démolition (avant appel). Dans cette affaire il y a opposition entre deux biens communs, l’électricité du barrage et l’eau de la rivière.

    D’autres conflits de même nature existent (en Gironde ferme photo-voltaïque / forêt ; l’agrivoltaïsme sera-t-il la solution ? Pas sûr).

     

    La question des biens immatériels

    L’avènement d’une puissante économie numérique a modifié le contexte en posant notamment la question du droit de propriété, assimilé au droit de la propriété intellectuelle. Nous sommes passés du capitalisme industriel à ce qu’on nomme « capitalisme cognitif », une forme de capitalisme où les connaissances prennent une valeur marchande. La plus-value qu’on en tire est considérable comme en témoignent les grands leaders économiques contemporains, les GAFAM. Pourtant d’autres modèles existent qui produisent des connaissances sous le régime des biens communs (logiciels libres, Linux, Wikipedia...). La privatisation de la connaissance n’est pas une fatalité.

     

    Points divers abordés

    - Importance d’acheter en priorité des produits français. En notre qualité de citoyens nous avons le droit et même le devoir d’influer sur la détermination des biens et services qui nous sont proposés.

    - Les prix déterminent-ils les achats ? Cela dépend du niveau de vie des consommateurs. En principe cela dépend beaucoup de la nature des produits (notions d’élasticité prix et élasticité revenu). Mais ces critères sont parfois pris en faute (effet Veblen dit effet snobisme).

    - Effet néfaste des algorithmes : exemples donné de la plateforme Parcoursup, de la tarification des actes médicaux...

    - En tant que consommateurs et citoyens serions-nous mal informés et parfois trompés sur ce qu’on nous propose (exemple de la nocivité du tabac) ? Cette affirmation est inexacte. D’une part il existe de puissantes associations de défense des consommateurs qui éditent des revues à grand tirage. D’autre part, chaque opération importante est obligatoirement soumise au débat public (CNDP) et fait l’objet d’une évaluation a priori. Enfin les travaux de prospective, la recherche de « signaux faibles », essaient de mieux anticiper l’avenir. Sans toujours y parvenir : on n’est jamais à l’abri de « cygnes noirs ». S’agissant du tabac on sait maintenant le rôle qu’a joué le lobby de l’industrie du tabac pour financer des recherches orientées produisant des contre-vérités.

    - Les biais cognitifs peuvent jouer dans l’appréciation de la nature des biens.

    - Les travaux de paléontologues montrent que le cerveau humain est plus petit qu’il ne l’était chez nos lointains cousins, il y a quelques centaines de milliers d’années (Neandertal ?). Serions-nous moins intelligents ?. La réponse est négative : la taille n’a rien à y faire, c’est le nombre et la complexité des connections qui joue. Les tests d’intelligence tendent à prouver que le cerveau humain est en devenir. (NDR : il faut se méfier des tests d’intelligence en raison des biais culturels selon les populations).

     

     

    P.M. (avec la collaboration de Benoît Delcourt)

    (06/02/2023)

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                                Observations complémentaires et bibliographie sélective

     

    Très animé et focalisé sur certains points particuliers, le débat n’a pas permis d’aborder d’autres aspects de la question, philosophique, juridique, historique, géographique, bibliographique, etc ... Dans les lignes qui suivent sont donnés quelques compléments succincts qui sont loin d’être exhaustifs.

     Caractérisation des communs

    Comme il a été dit, le caractère de communs attribué aux biens et des services ne résulte pas  seulement de leur nature, mais aussi des modalités et des principes d’organisation auxquels ils sont soumis. ElinorOstrom distingue huit principes fondamentaux qui les caractérisent. Bornons nous à en citer trois :

    - Un système permettant aux individus de participer régulièrement à la définition et à la modification des règles

    - Un système gradué de sanction pour les appropriations de ressources qui violent les règles de la communauté

    - Un système peu coûteux de résolution des conflits

     Les biens communs dans l’histoire

    D’une façon générale la notion de commun est associée à une des modalités d’appropriation des biens. Elle est ancienne : Platon défendait l’idée de la communauté des biens dans la cité, alors qu’Aristote distinguait ce qui est propre de ce qui est commun, ce dernier bénéficiant de moindres soins. Les Romains, qui sont à l’origine de notre droit, distinguaient déjà les biens communs (rescommunis) non appropriables, comme l’air, l’eau, la mer, les côtes, des biens publics (respublicae) appartenant à l’Etat et des biens privés (resprivata) que le propriétaire avait le droit d’utiliser, de faire fructifier et aussi d’aliéner (usus, fructus, abusus). On se restreint ici à évoquer les biens matériels, car il existe toute une littérature traitant du bien commun immatériel (Sénèque et les stoïciens par exemple).

     Plus récemment de nombreux auteurs ont pris position sur le droit de propriété et son exercice. Ainsi Thomas d’Aquin qui, au XIIIe siècle a établi une doctrine chrétienne du bien commun fondement de toute organisation sociale et politique. Citons John Locke  au XVIIe siècle pour qui la propriété individuelle était nécessaire à la survie. Ou encore Benjamin Constant au XIXe, grand défenseur de la liberté, pour qui une des premières libertés est de détenir une propriété. Il faudrait aussi citer les points de vue de Proudhon, de Karl Marx, etc.

     Les propriétés collectives (les communaux)

    Un des domaines où, historiquement et géographiquement, le concept de communs a joué – et joue encore – un rôle important, est celui du foncier. Ces propriétés collectives, très importantes au Moyen Âge, prenaient des formes diverses selon les lieux et selon les temps. Par exemple les biens de «  mainmorte » qui  permettaient aux serfs d’exploiter des terres seigneuriales (laïques ou ecclésiastiques), souvent moyennent redevance, mais qui leur interdisait la transmission à leur décès. Ceci avait pour but d’empêcher l’aliénation des biens fonciers. Avec des règles fluctuantes et mal définies, les biens communaux étaient l’objet de très nombreux conflits. Certains de ces droits, très édulcorés, figurent encore aujourd’hui dans notre dispositif légal (code civil, code rural, code de la pêche maritime) comme le droit de glanage ou le droit de vaine pâture.

    A partir du milieu de la fin du XVIIIe siècle, ces modes d’exploitation et les droits y afférant ont été l’objet de violentes attaques. Attaques des libéraux, des économistes (les physiocrates en France), des agronomes pointant du doigt la faible productivité des terres. Les idées de liberté économique et sociale, d’efficacité du marché, s’imposent peu à peu. Le mouvement anglais des enclosures entre dans cette problématique. Mais c’est surtout avec la Révolution française que commence la disparition de  la propriété collective, notamment par des partages en toute propriété : seules la propriété de l’Etat et la propriété privée étaient légitimées.

    Aujourd’hui, grâce surtout aux travaux d’ElinorOstrom, les communs suscitent un regain d’intérêt qui ne fait que prendre de l’ampleur. Elle s’étend même jusqu’aux communs immatériels.

     Géographie et histoire des communs

    Les propriétés collectives ne sont pas l’apanage de la France. On les retrouve partout, en toute époque, et sous des formes les plus diverses. Avec la terre c’est l’eau d’irrigation qui en est le principal objet. On peut citer entre autres, les mirs, communautés paysannes dans la Russie tsariste ; les acequias, systèmes  traditionnels d’irrigation collective espagnols ; dans les pays arabes, les biens waqfou habous qui s’apparentent au système de mainmorte... Et aussi la tontine, qui existe dans le droit français et qui est très utilisée dans des pays africains : c’est une association de personnes qui cotisent dans une caisse commune et dont le produit est donné à chaque cotisant.

     Retour sur la question de la santé publique et de la vaccination

    Comme pour l’eau dont il a été débattu en réunion, c’est un parfait exemple de la responsabilité des pouvoirs publics dans la qualification des biens.

    Si au niveau de l’Etat il est considéré (à tort ou à raison) que la santé est un bien public, qui donc surpasse les droits individuels, les pouvoirs publics sont légitimés à contraindre les citoyens à respecter leurs prescriptions, comme le confinement et  la vaccination.

    Par contre les doses de vaccin sont rivales (la dose qui m’est administrée manquera à mon voisin) et exclusives (je ne peux pas partager ma dose avec mon voisin). En principe ce sont donc des biens privés, théoriquement mieux gérés par le marché. Par contre, nous en avons discuté à propos des brevets, la formule du vaccin et sa production pourraient être gérées comme un bien public.

     Pour en savoir plus : quelques références bibliographiques sélectionnées

    * Ouvrages de base

    - ElinorOstrom, Governing the commons, 1990, traduction française : La gouvernance des communs : pour une nouvelle approche des ressources naturelles, De Boeck, 2010.

    - Pierre Dardot, Christian Laval, Commun. Essai sur la révolution du XXIe siècle, La Découverte, 2014 ;

    - Benjamin Coriat, Le retour des communs. La crise de l’idéologie propriétaire, Les liens qui libèrent, 2016.

    - Jean Tirole, Economie du bien commun, PUF, 2016.

    - Marie Cornu, Fabienne Ost et Judith Rochfeld (sous la direction de -) : Dictionnaire des biens communs, PUF, 2017.

     

    * Sur la comptabilité

    - David Graeber, Dette. 500 ans d’histoire, trad, Les liens qui libèrent, 2013.

    - Jacques Richard, Alexandre Rambaud, Philosophie d’une écologie anticapitaliste. Pour un nouveau modèle de gestion écologique, Presses de l’Université de Laval, Québec, 2021.

     

    * Sur les communaux agricoles

    - Nadine Vivier, Propriété collective et identité communale. Les biens communaux en France, 1750-1820, Presses de la Sorbonne, 1996

    - Danielle Demélas et Nadine Vivier (sous la direction de -), Les propriétés collectives face aux attaques libérales (1750 – 1914), Presses universitaires de Rennes, 2003 

    - Nadine Vivier, Les communaux en Europe occidentale : approche historique, Encyclopédie de l’Académie d’Agriculture de France, 2022.

    https://www.academie-agriculture.fr/publications/encyclopedie/questions-sur/0401q05-les-communaux-en-europe-occidentale-approche 

    - Même auteur, même éditeur : Que sont les communaux aujourd’hui ?

    https://www.academie-agriculture.fr/publications/encyclopedie/questions-sur/0402q02-que-sont-les-communs-aujourdhui 

     

    * Autres références (Internet)

    - Portail généraliste, une mine de références : https://lescommuns.org/ 

    - Un autre : https://lescommuns.org/ 

    - International Association for the Study of Commons (IASC) https://iasc-commons.org/ 

    - Communs et peer-to-peer :http://blogfr.p2pfoundation.net/ 

    - Communs et copropriété : https://www.citego.org/bdf_fiche-document-1521_fr.html 

    - Philosophie à la base du système des brevets

    https://123dok.net/article/philosophie-base-syst%C3%A8me-brevets.9yn84wky 

    - Théorie économique (récent) :

    https://livre.fnac.com/a15006205/Alfonso-Giuliani-Le-Commun-comme-mode-de-production 

     

    Pierre Marsal 08/02/2023

     


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  • COMPTE-RENDU DU DEBAT DU 7 JANVIER 2023 

     

    18 personnes étaient présentes ce samedi 7 janvier : c’est un bon score, probablement dû au fait que le Mondial et la saison des fêtes de la fin d’année 2022 étaient terminés. Et puis les beaux jours du printemps n’étant pas encore arrivés, en les attendant, certains ont eu la bonne l’idée de se rendre au Marina où nous avons pu échanger nos vœux et verser notre cotisation à notre trésorier.

    C’est donc autour du proverbe :« LA PAROLE EST D’ARGENT ET LE SILENCE EST D’OR »,qu’il nous a été proposé de débattre.

    Suite à la lecture du texte, les premières interventions ont déployé l’éventail de toutes les formes du langage : Arts, gestes, silences, soupirs, expressions du visage,(que le nouveau-né va très tôt reproduire en observant les personnes de son entourage) …etc. Mais était-ce bien là le sujet?  Le problème posé ici nous a fait remarquer un intervenant, est bien celui de l’échange et de la communication par la parole, et de nous expliquer la parenté existant dans la plupart des mythologies ou écoles de sagesses mondiales, en ce qui concerne l’échange verbal. 

    Un intéressant exposé nous a été donné sur le rôle de la médiation dans le traitement d’un conflit entre deux personnes. Pour que ce traitement soit efficace, le médiateur, ou la médiatrice, doit s’assurer que la parole de l’un, puis de l’autre, soit entendue par chacun avec respect et la plus grande attention ; si le silence s’installe dans l’échange parce qu’il laisse la place, non pas à une bouderie ou à une mauvaise foi mutique, mais à une réflexion profonde de chacun, jamais le médiateur ne doit l’interrompre  car c’est dans ce silence que les émotions s’apaisent, la pensée mûrit,  que la situation se décante pour apparaître avec plus de  clarté aux yeux des deux protagonistes. Cet exemple d’échange, basé sur une volonté réciproque d’apaisement, nous a permis de mesurer l’importance de la parole, de l’écoute et du silence dans les relations que nous pouvons entreprendre et entretenir avec les autres.  

    Nous avons tenté d’expliquer l’incipit de l’Evangile selon St Jean: « Au commencement était leverbe ;le verbe était auprès de Dieu et le verbe s’est fait chair… » D’après une participante ce message énigmatique semblait pourtant correspondre au sujet du jour. Pour le comprendre, il suffisait peut-être de se rappeler que le langage change selon les époques, les lieux et les cultures[1]. En ce temps-là et dans ces pays de déserts les orateurs et les scribes s’exprimaient sous forme de paraboles ; le « jeu » consistait à deviner ce qui était caché sous l’apologue. Le « verbe » avons-nous conclu serait donc la parole de Dieu transmise aux Hommes par l’intermédiaire de son envoyé sur Terre, Jésus. Cette explication de l’expression : « … et le verbe s’est fait chair »a paru satisfaire l’auditoire.

    Une note en bas de la page 1 du texte a interpellé une participante. Pourquoi Jean-Claude  Pariente affirme-t-il que le langage est« inerte » et la pensée « vivante » ? La pensée, en effet, commence par germer dans l’esprit, puis elle se développe, s’enrichit des informations reçues, fluctue, fait des petits, exactement comme tout ce qui appartient au monde du « vivant ». Tout ce processus peut rester autant de temps qu’on le désire à l’abri du silence. Alors que la parole, une fois prononcée, ne nous appartient plus et reste définitivement plaquée sur notre discours, nous a expliqué une intervenante. Le danger c’est que cette parole peut être interprétée au gré de l’interlocuteur. La parole est donc comme les pigments,ces colorants dit inertes car indétachables de la toile ou tout autre support une fois qu’ils y ont été appliqués. Comme il nous l’a été rappelé, à dire trop vite les choses qui nous passent par la tête,la parole et les mots sont souvent irrécupérables, d’où la nécessité de tourner sept fois sa langue dans la bouche avant de parler.

    Les échanges se sont longuement portés sur « les » silences : Le traitement par le silence est une véritable menace pour les relations, qu’elles soient amicales, familiales ou amoureuses. Ce comportement est souvent une stratégie mise en place pour déstabiliser l’autre, une torture mentale souvent utilisée avec les prisonniers ou les otages.

     Il faut aussi savoir écouter et traduire le silence qui remplace les mots lorsque, submergés par une forte émotion ou une profonde souffrance, ceux-ci deviennent indicibles.

    Lorsque l’on peut librement verbaliser sa pensée, les relations se nouent sereinement et les accords à trouver sont plus facilement et rapidement conclus.

    Après d’autres nombreux et intéressants échanges soupesant le poids et la valeur et de la parole et du silence, une participante nous a démontré qu’un équilibre peut être établi lorsque la sagesse, le respect, sont présents dans l’élaboration du discours ou du dialogue. 

    Le débat a été clos après un rappel de la conclusion du texte.

     

    Charlotte Morizur

     



    [1] Lire sur le site le commentaire De Pierreà ce propos.


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  •                                COMPTE-RENDUDU DEBAT DU 3 DECEMBRE 2022 

     

    A l’occasion de la journée de « L’Engagement » la séance s’est tenue à la médiathèque du Canal de St Quentin en Yvelines :ont collaboré à cette initiative, Emna Barkaoui chargée des affaires culturelles de la médiathèque et Laurence Darmedru présidente du café Débat de St Quentin. Le thème du débat était le suivant :

    « FAUT-IL AIMER POUR S’ENGAGER ? »

    24 personnes étaient réunies pour en débattre, dont 10 membres de l’association «Le Café Débat de St Quentin en Yvelines ».  

    Certaines personnes ont interprété la question qui faisait titre comme s’agissant uniquement de l’engagement dans une relation amoureuse ; le texte proposait cependant des pistes de réflexion allant vers bien d’autres directions.

    Une participante a fait réagir l’assemblée en l’interpellant sur le terme « devoir » qui déterminerait tout engagement.« S’engager, est-ce vraiment un devoir a-t-elle demandé ? » Pour certaines personnes le mot « devoir » est synonyme d’injonction, et suscite chez elles une réaction négative, voire épidermique car toute contrainte venant d’une autorité supérieure les rebuterait. Pour elles l’engagement dans une action ne peut être que libre et mu par un élan du cœur : l’amour en est un, l’indignation, la colère, également. Ainsi voter par devoir serait un non-sens. (Il a alors été rappelé que voter est un droit et non un devoir.) 

    Une confusion entre « devoir » et « obligation » a troublé un moment la discussion. Pour une meilleure compréhension de ces deux termes et de la différence qu’il y a entre eux, il a été donné l’exemple suivant :  Payer ses impôts, scolariser ses enfants, rouler à droite… sont des obligations, y manquer c’est encourir une sanction. En revanche l’engagement que l’on s’impose librement devient un devoir et faillir au contrat que l’on a souscrit entre soi et soi ne peut être sanctionné que par soi-même : « Si durant la journée, j’ai négligé de m’impliquer dans la cause que je défends, a dit une participante, alors la nuit venue,je ne m’aime pas ! »

    Rappelons cette phrase du texte : « l’engagement est un acte volontaire qui permet à chacun d’affirmer sa responsabilité et sa liberté face à lui-même et face aux autres ».

    Alors quelle sont les motivations, autres que celles dictées par le cœur, qui nous poussent à nous engager ?

    La curiosité, celle qui entraîne l’intelligence dans les chemins de la connaissance, incite le chercheur à pousser toujours plus loin ses investigations et à inventer des techniques capables d’améliorer le bien-être de l’Humanité, de comprendre mieux son environnement.

    « L’engagement », nous a expliqué une participante « a été pour moi un processus basé sur le constat d’un manque sociétal. Aucune structure n’existait pour mon fils handicapé afin qu’il soit reconnu comme citoyen à part entière. Seule et face à notre impuissance nous nous trouvions son père et moi dans un état de total désarroi. J’ai donc monté un collectif avec des personnes se trouvant dans mon cas. Nous nous sommes mobilisées et ensemble nous avons réussi à faire bouger les lignes. »

    Pour un participant, l’inanité des journées qu’il aurait à passer une fois l’âge de la retraite arrivé, le mettait mal à l’aise. Il s’est alors engagé auprès d’une unité de soins palliatifs et a consacré une part de son temps dans l’accompagnement des mourants. « J’ai reçu en échange de ce temps donné un retour qui m’a comblé et donné la certitude d’être sur le bon chemin. »

    Avoir la certitude d’être sur le bon chemin apaise et rend serein, être en phase avec ses convictions, en accord avec soi-même,c’est peut-être cela le bonheur dont parle Kant.

    Si l’on est touché par le combat de personnes dont les droits sont bafoués peut-on se mettre à leur côté alors que l’on n’est pas directement concernés ? Ne risque-t-on pas, par méconnaissance, d’être maladroit et par conséquent inopérant si on n’a pas vécu leur souffrance ? La réponse a été que si nous voulons aider ceux qui subissent maltraitances, discrimination, déconsidération, rejet de la part de leurs proches …,une écoute attentive de chacun de ces cas est absolument primordiale, elle pourra définir le rôle que l’on nous attribuera selon nos compétences, cela pour que  notre action soit ciblée et juste.

    Le choix de la profession peut-il être une réponse à une vocation ? Certains métiers sont consacrés aux soins des malades ou handicapés, d’autres demandent à parcourir le monde pour en rapporter les événements qui s’y passent, ou à secourir les populations en situation de catastrophe etc.Ces métiers attirent   par la dimension morale qui correspond aux aspirations de certains. S’y engagent-ils par goût ? Inclination ? Passion ? Oui, sans doute, mais plus sûrement par amour ont affirmé certains. Ceux, a déclaré une participante, qui disent que l’on ne s’engage pas forcément dans sa profession ou dans une action par amour ne doivent pas être mal jugés car sans doute ont-ils eu un vécu, un environnement social qui leur a donné une vision différente de ce qu’est l’engagement (?). Ce point de vue aurait mérité une explication plus claire.

    Un intervenant nous a fait remarquer que dans le terme engagement il y a le mot « gage ». Le gage garantit le paiement de la dette que l’on contracte, tacitement ou non, lorsque l’on est admis dans la société.  L’Humain est un animal social qui, lorsqu’il vient au monde a besoin pour survivre d’être protégé par un groupe, en général sa famille. Aux temps préhistoriques chaque individu avait un rôle à jouer au sein de sa tribu, c’était la condition pour qu’y règnent cohésion et harmonie. Malheur à celui qui refusait de remplir le rôle qui lui était attribué! Exclu de la tribu il était condamné à la solitude,l’errance et à une mort certaine. Notre société actuelle est basée sur un système de solidarité qui assure à chaque individu des droits faisant tout naturellement équilibre aux devoirs qui lui incombent.

    Pour répondre à la question : comment être sûrs de ne pas nous fourvoyer dans une voie sans que nous ayons à le regretter? Une participante nous a avertis des dangers qu’il y avait à s’engager dans des associations ou plutôt des communautés, qui suivent des doctrines strictes concernant le mode de vie des adhérents et souvent portent atteinte à l’autonomie de la pensée. De la même façon il faut être vigilant avant de cliquer pour donner son accord à l’objet d’une pétition sans avoir eu auparavant une réflexion suffisante.

    Mais laissons la parole à Aboudou, 12 ans, qui a brillamment conclu le débat, débat qu’il a suivi avec beaucoup de sérieux. Il a déclaré de sa belle voix grave : « Moi, j’ai aimé le sujet et le mot engagement. Un président de la république s’engage à améliorer son pays, et au collège on peut s’engager en se présentant pour être délégué de classe. Lorsqu’on s’engage il faut toujours tenir ses promesses. Si par exemple je promets à mon petit frère de jouer avec lui, alors je ne dois pas le laisse tomber mais jouer avec lui, même si je n’en ai pas envie et préfèrerais faire autre chose. » Aboudou a bien saisi l’objet du débat, y a parfaitement répondu, aussi fut il chaleureusement applaudi. Avec bien de l’élégance il s’est levé et a remercié l’assemblée avant de nous quitter.

    Pour conclure, on a cité cette pensée de Georges Bernard Shaw : « Dans la vie il y a ceux qui regardent le monde tel qu’il est et se demandent : pourquoi ? Et puis il y a ceux qui voient le monde tel qu’il pourrait être et se disent : Pourquoi pas ? » Alors ceux-là se lèvent, rassemblent ardeur et courage et vont sur la voie qu’ils se sont tracée pour accomplir leur mission, comme l’a fait Jean-Baptiste Charcot qui a sillonné les océans des 2 pôles à bord de ses 3 bateaux chacun baptisé « LE POURQUOI PAS ? » 

    En Afrique celui qui quitte son pays, ses amis et sa famille et s’apprête à traverser continents et océans comme nous traverserions notre jardin, celui-là donc, se lève et dit :

    «JE PARS ET J’AI LE CŒUR DEBOUT »

                                           C.R. rédigé par Charlotte Morizur..

     

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