• 1-La laïcité en débat.

    La confusion est souvent entretenue par ceux qui visent à vider de son contenu la laïcité, réécrivent à leur façon son histoire ou sa philosophie. La société française est concrètement interpellée par la multiplication des revendications communautaires à caractère religieux qui convergent dans une remise en cause de la laïcité. La plus marquante de ces revendications est celle relative à ce que l’on a appelé « l’affaire du foulard ». Elle a abouti en mars 2004 à la loi interdisant le port de tout signe religieux à l’Ecole, réaffirmant la laïcité après un débat public où l’Union des Familles Laïques (UFAL) a pris toute sa place en initiant le premier appel en faveur de cette loi. Le contexte international marqué par des conflits à dominante religieuse n’est pas sans peser sur cette situation. La construction européenne s’est fait un véritable objectif de casser la laïcité française, les communautarismes qui divisent le peuple en groupes de droits concurrents étant des alliés directs du libéralisme qui cherche par tous les moyens à anéantir toute capacité de réaction à sa politique. La laïcité reste donc un combat de première actualité.

    2- Quelques idées-clés pour définir la laïcité française

    La laïcité est une de ces spécificités françaises en droit fil de la Révolution de 1789 et de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. La France est l’un des rares pays où les hommes vivent ensemble sans être séparés par culture ou religion tout en étant garantis par la loi contre toute discrimination, sans conflits majeurs, sans guerre civile.

    La laïcité, c’est l’idée que l’on fait une société à partir de ce que l’on met en commun car aucune société ne saurait être une simple addition de différences. L’idée de la laïcité, c’est l’affirmation que ce qui nous fait égaux, la loi, la politique, la démocratie, constitutif d’une certaine idée de la Nation et de la République, sont au-dessus de ce qui nous différencie, les religions, les origines diverses, les cultures régionales, sans pour autant les mépriser, bien au contraire. L’égalité des droits politiques portée au-dessus des différences les protège toutes contre l’hégémonie de l’une d’entres-elles sur les autres. La laïcité permet ainsi aux différences de coexister pacifiquement en facilitant le mélange des populations.

    C’est la séparation stricte entre la sphère publique, où se définit le bien commun, et la sphère privée, où s’expriment les choix intimes de la personne. Cette séparation, c’est aussi l’interdiction d’accès du religieux au politique.

    C’est la laïcité qui réalise les conditions que le peuple puisse se penser comme une entité à mettre l’accent sur ce qui unit les hommes plutôt que sur ce qui les différencie, les divise, donnant son sens à la notion d’intérêt général, à la démocratie. C’est l’idée que les hommes sont les agents d’une histoire commune dont la responsabilité prévaut sur leurs différences.

    3- La laïcité : une conquête de l’histoire ciment de nos libertés collectives.

    La nécessité de la laïcité n’est pas sortie du chapeau d’un législateur mais de l’évolution démocratique de la société, comme conséquence d'âpres luttes. Ce n’est pas un pacte de compromis entre les religions et la République, comme on voudrait parfois nous en convaincre, en insistant sur le contexte immédiat de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, mais bien une rupture décisive avec un ordre ancien. S’il existe dans celle-ci des aspects de compromis, liée à une histoire des liens entre l’Eglise catholique et l’Etat sur laquelle on n’a pas pu alors simplement tirer le trait (par exemple la préservation des services d’aumônerie dans certains lieux publics) elle s’inscrit néanmoins résolument dans un sens qui est celui de la conquête des grandes libertés publiques qui vont avec la démocratie. Comment imaginer la démocratie sans la liberté de conscience, droit de croire ou de ne pas croire, qui fait partie intégrante de la liberté de pensée qui vaut pour la liberté de la presse ou de réunion. Seule la séparation de l'Eglise et de l’Etat garantit une indépendance du politique de l’influence des Eglises et donc garantit par là-même l’exercice de la liberté de pensée, l’Etat n’ayant pas de pensée officielle il les autorise toutes. Cette séparation du religieux et du politique était donc incontournable pour assurer les libertés individuelles. Cette loi, en faisant tomber dans le domaine privé les Eglises, a ramené la foi à une question intime, personnelle, et a définit l’espace public comme propriété des citoyens.

    C’est la Révolution française qui a donné le cadre premier de droit à partir duquel la laïcité pouvait être imaginée. La Révolution française, en abolissant la monarchie absolue et les privilèges, simultanément à la proclamation de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, a aboli un régime de division du peuple où le roi était le père de ses sujets, tenant son pouvoir directement de Dieu. En balayant l’Ancien régime, c’est aussi cette place première de la religion qui vacille. C’est l’alliance entre le trône et l’autel qui est brisée, qui avait fait la puissance de la monarchie absolue. La proclamation de la République, le 21 septembre 1792, s’identifie avec l’abolition de la monarchie. C’est l’an I de la République « Liberté-Egalité-Fraternité ». En lieu et place de la souveraineté du pouvoir royal, s’installe « la souveraineté de la nation », l’idée d’une Nation républicaine une et indivisible. Désormais la France sera gouvernée par la volonté du peuple. Ce qui triomphe, ce sont des principes d’organisation politiques fondés non sur la tradition, la religion, mais sur la raison. L’Etat républicain doit alors être l’expression et le garant d’une société de citoyens, censés être autonomes à l’égard de tout corps intermédiaire »et, par excellence, de l’institution religieuse. Pour autant il n’est pas question d’interdire les religions, L’article 10 de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen dit que « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions même religieuses »

    De septembre 1792 à décembre 1793, une série de décrets pose le principe d’organisation générale de l’école. Ecole primaire dans tous les lieux de 200 à 1500 habitants. L’enseignement primaire devient obligatoire pour tous les enfants sous peine de sanction pour les parents, il est gratuit. L’enseignement devient neutre sur le plan religieux. L’école est conçue comme un système scolaire commun à tous les Français en vu d’assurer l’unité nationale. Tous les principes de l’école de la IIIe République, qui viendront s’affirmer un siècle plus tard, se trouvent déjà introduits ici. En 1795, la constitution de l’An III est proclamée fondamentale de la République française. Elle dit : « Nul ne peut être forcé de contribuer aux dépenses d’un culte. La République n’en salarie aucun ». C’est la première séparation déclarée des Eglises et de l’Etat. L’application en restera partielle et brève. La Ier République issue de la Révolution française sera la première expérience historique d’une société politique essayant de vivre sans religion publique.

    C’est la IIIe République (1871-1940) qui a réalisé la laïcité, mais qui a aussi posé le cadre républicain avec ses valeurs de liberté et de démocratie de façon durable jusqu’à nous : suffrage universel, système des partis, droit de réunion, autorisation des syndicats (1884), liberté de la presse, droit du sol (1889), liberté d’association (1901). Un ensemble de libertés qui se complètent et qui forment un tout cohérent qui a du sens. Ces conquêtes sont aussi le fruit des grandes luttes sociales traversant tout le XIXe siècle, ponctuées par les révolutions de 1830, de 1848, dit le Printemps des peuples, de la Commune de Paris en 1871. La laïcité, c’est un ensemble de lois courageuses qui s’étalent sur un quart de siècle dans un contexte difficile. Les lois de Jules Ferry sur la gratuité (1881), l’obligation et la neutralité religieuse de l’école (1882). La dissolution des congrégations religieuses qui tenaient les écoles dans leur influence et la laïcisation du personnel enseignant (1886). La loi de séparation des Eglises et de l’Etat (9 décembre 1905) qui est perçue comme le pilier de notre laïcité. Que dit-elle : « Article 1 : La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes. Article 2 : La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte... »

    Jusqu’à nous, différents aménagements sont venus trop souvent vulnérabiliser la laïcité, telle la loi Debré de 1959, mettant en place un système d’aide pour l’Ecole privée dite « libre ». Une orientation soutenue par de nombreux gouvernements depuis. Une politique finançant en réalité des écoles confessionnelles qui représentent 80 % des écoles privées, contredisant ainsi le principe de séparation.

    4- Les dangers qui guettent la laïcité et les valeurs de la République.

    Au nom du devoir de mémoire, on pousse les populations d’origine immigrée à ne se tourner que vers le passé, entre filiation avec l’esclavage ou le colonialisme, en se divisant de la société française comme communautés blessées. Non que ces sujets ne méritent une attention certaine, mais on détourne ici en réalité le sentiment légitime de révolte face à une société qui peine à intégrer ses immigrés, en raison de la crise économique avec ses conséquences sociales désastreuses, dans la direction de revendications partielles au caractère identitaire qui mettent à part et  excluent toute capacité d’action collective pour plus de justice sociale pour tous. On fait tout oublier ici au passage en mettant en accusation de racisme la République, et particulièrement le fait que c’est en France sous la première puis la seconde République que  l’esclavage a été aboli, et ainsi que le peuple de France par ses actions collectives a su imposer les valeurs qui fondent le socle républicain et avec elles le droit du sol, acquis essentiel de l’histoire. Les indépendances qui ont mis fin au colonialisme doivent une part de leur liberté au peuple français qui a su se mobiliser pendant des décennies contre le colonialisme français et international. Dans cette veine, on confond délibérément les responsables des politiques  menées et le peuple qui a su après le cataclysme politique d’avril 2002 voter à 82% contre Le Pen. A cet égard, quel meilleur gage contre le racisme peut-il donc exister ? La France est aujourd’hui la première terre d’accueil au monde ! Cette démarche du repli identitaire aboutit par son instrumentalisation à la politique de la discrimination positive qui renvoie chacun à un groupe communautaire, à travers l’acquisition de droits spécifiques sur une base culturelle, religieuse, ethnique, autant de groupes qui se trouvent en situation de concurrence des droits. Cette démarche fait le deuil de l’égalité et annule toute action pour y parvenir. La politique de discrimination positive crée la division du peuple à travers cette division des droits. Elle prédispose au clientélisme politique qui annihile la démocratie.

     La liberté d’expression est aussi menacée comme l’épisode des caricatures de Mahomet l’a mis au devant de la scène internationale avec la revendication de la reconnaissance juridique du blasphème. Sous l’impulsion de l’UOIF, organisation qui ne cache pas ses velléités communautaristes, le Conseil Français du Culte Musulman a porté plainte pour obtenir une limitation de la liberté d’expression lorsqu’il s’agit de parler, d’écrire ou de mettre en caricature des religions. Le pape Benoît XVI estimait, en référence aux caricatures de Mahomet, qu’en aucun cas la liberté d'expression ne devait constituer "une atteinte aux libertés des autres".  Le droit de critiquer les religions, de croire ou de ne pas croire et de l’exprimer qui a à voir avec la liberté de penser et donc de conscience, avec la liberté d’expression, fondamentale pour notre démocratie, ont été remis en cause par un arrêt rendu par la Cour (européenne) de justice des droits de l’homme en 1994, selon lequel « une limitation de la liberté d’expression était acceptable si son exercice se traduisait par une critique exagérée à l’égard de croyances religieuses ». La convergence d’intérêt entre l’Europe politique, superstructure de la mondialisation libérale, et le communautarisme religieux se manifeste ici au grand jour, alliés objectifs d’un monde dominé par un système économique sans moral et tourné contre les peuples qu’il préfère divisés en communautés religieuses qu’unis pour plus d’égalité.

    La Construction européenne telle qu’elle s’élabore sur un modèle fédéral des régions constitue un autre danger, car elle outrepasse l’échelle de la Nation, qui est celle de la souveraineté du peuple, en ignorant les spécificités nationales telle que la laïcité.

    La décentralisation à travers son dernier volet, la « République décentralisée » initiée par l’ex-Premier ministre Monsieur Raffarin, procure aux régions la possibilité d’expérimentation législative. Les régions sont ici dotées du pouvoir d’adapter les lois nationales dans le cadre de leur mise en concurrence voulue par l’Europe, ceci pouvant remettre en cause l’égalité de traitement de chacun devant la loi.

    Autant d’aspects qui tendent à diviser la population de la France en intérêts géographiques et culturels concurrents, ce qui conduit à la neutralisation de l’action collective qui a fait l’histoire de nos grandes libertés comme nous venons de le voir.

    L’enseignement du fait religieux à l’école est devenu le cheval de bataille de ceux qui pensent que l’intégration des populations d’origine immigrée, leur reconnaissance, passe par l’accroissement de la place donnée aux religions, particulièrement à la religion musulmane, dans l’enseignement scolaire. Cette démarche qui consiste à étendre la place des références religieuses à l’école bafoue de fait la laïcité car elle insiste sur les différences religieuses au lieu de l’égalité des droits et tend à favoriser les crispations identitaires, et à terme la défiance au lieu de la reconnaissance, la pureté de l’origine plutôt que le mélange.

    L’école est au cœur des enjeux de la laïcité parce que c’est le lieu de diffusion des savoirs et de la formation du citoyen, le lieu d’apprentissage du libre examen de soi, de la pensée critique. Laisser le poids de la tradition et de la religion à la porte de l’école, c’est la seule façon de donner à chaque enfant sa chance de pouvoir se construire sa propre liberté.

    Concernant la place des femmes, leur besoin de libération a été un facteur important de l’évolution de l’ensemble de notre société vers plus de liberté, à travers plus d’égalité entre hommes et femmes. Mais un mouvement d’involution se dessine sous couvert de la tradition ou de la religion. La mixité à l’école est remise en cause par certains dans ce contexte, alors qu’elle pose les bases de la reconnaissance de l’égalité entre les sexes.

    5- L’intégration, un principe humaniste et laïque

    L’intégration est souvent montrée du doigt en France, rendue responsable de tous les maux des personnes d’origine immigrée. S’il existe dans notre pays des faits de discrimination qu’il faut combattre, qui contrecarrent parfois l’intégration, l’image de généralisation de celles-ci est sans fondement, car ces personnes, comme les autres, pour l’essentiel travaillent, se logent, leurs enfants allant à l’école, bénéficient des mêmes acquis sociaux, des mêmes prestations sociales, que les autres, précisément en raison de l’effectivité de la laïcité. Voilà comment, loin d’une assimilation forcée, l’intégration est définie comme un beau projet humaniste et laïque tel que le Haut Conseil à l’Intégration le propose : « Sans nier les différences, en sachant les prendre en compte sans les exalter, c’est sur les ressemblances et les convergences qu’une politique d’intégration met l’accent afin, dans l’égalité des droits et des obligations, de rendre solidaires les différentes composantes ethniques et culturelles de notre société et de donner à chacun, qu’elle que soit son origine, la possibilité de vivre dans cette société… » Ce qu’il faut, c’est veiller à l’application de ce principe républicain, et spécialement dans l’action de celui-ci, à la place faite aux enfants de toutes origines qui feront les citoyens et la Nation française de demain, si l’on veut conjurer les dangers du communautarisme.

    Conclusion : la laïcité un principe cardinal au cœur de nos libertés et de l’égalité.

    La laïcité est, comme nous venons de le voir, une de nos libertés des plus fondamentales, elle conditionne de fait la façon dont nous entendons vivre ensemble, jusqu’à la forme de notre société. Si la laïcité ne contient pas en elle-même la marche vers une démocratie sociale, elle est la voie qui en autorise la possibilité dans le prolongement de l’égalité politique, de la citoyenneté, de la place du peuple dans notre démocratie, qu’elle conditionne.

    Le plus grand danger qui la guette aujourd’hui en France est sans aucun doute le communautarisme.

    La laïcité est au cœur de notre modèle républicain et démocratique, au cœur de nos libertés communes et de l’égalité, c’est l’un des grands enjeux contemporains pour l’histoire à venir de notre pays, et plus largement, un principe porteur de projet et d’avenir vers un monde plus juste et plus pacifique.

    Guylain Chevrier

    Historien, Président du Conseil scientifique de l’UFAL.


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