• Dieu est il une énigme, une personne ou « il n’existe pas » ?

  • Commentaires

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    Claude Sutren
    Dimanche 9 Janvier 2022 à 18:50

    En guise de Vœux pour votre ''Café'' en 2022, je donne mon avis à la question posée sur Dieu :

    1) Point de vue sur Dieu ''Lui-même'' : La réponse simple n'est pas que j'y crois ou que je n'y crois pas, mais que je ne sais pas !

    Malheureusement cette ''sagesse'' est peu répandue, comme l'illustrent des siècles de guerres de religions, qui perdurent largement encore aujourd'hui.

    2) Mon grand âge m'a permis d'avoir à connaître les ''principes, ''lois'', préceptes, prédictions, châtiments, espoirs'' de différentes religions.

    A part 6 des ''10 commandements'' du décalogue, qui, pour la plupart, trouvent leur application dans la vie civile, et la suggestion de la charité envers les plus défavorisés, 

    j'ai eu de plus en plus de mal à croire à ce que j'ai lu ou constaté.

    En particulier, les prédictions sur le Jugement dernier ou le Paradis me laissent rêveur. Nous sommes des êtres liés au Temps et la notion d'éternité est particulièrement difficile

    à imaginer.

    Je suis comme beaucoup admiratif de la Nature, des espèces vivantes, de l'Univers, de l'Amour ! Qu'il existe un ''créateur''/"créatrice" pour tout cela ?

    Pourquoi pas, mais je reviens au 1)...

    Cordialement,

    Claude Sutren

    2
    Pierre M.
    Samedi 22 Janvier 2022 à 23:55

    Evoquer Dieu, c’est-à-dire lui donner une définition dans notre langue parlée ou écrite, c’est déjà concevoir la possibilité de son existence ou de son inexistence. Dieu est un concept autour duquel il peut y avoir débat, comme c’est le cas ici. Même un athée sait de quoi il est question dans nos civilisations occidentales. Mais qu’en est-il pour toutes ces sociétés qui ignorent ou qui n’ont pas besoin de cette idée, et qui demeurent néanmoins des sociétés culturellement avancées ? C’est le cas dans la plupart des civilisations orientales, en Chine en particulier. Comme l’écrivait Marcel Granet, en Chine « création savante de la mythologie politique, le Souverain d’En-haut n’a qu’une existence littéraire » (La Pensée chinoise (1934), Paris, Albin Michel, 1999). De fait le Seigneur d’en haut (Shàngdì), que les missionnaires chrétiens ont tenté de valoriser pour l’assimiler à la notion de Dieu, n’est qu’un obscur personnage de l’antique et pléthorique mythologie chinoise. 

     

    Pour aborder cette question, il faut donc distinguer au moins ces deux situations.

     

    1. Pour nos sociétés occidentales, marquées d’un héritage hellénique et judaïque, l’idée d’un Etre Suprême (ou d’Etres, pour les polythéistes) est naturelle, au moins pour deux raisons. D’une part le constat que le monde existe interroge sur la question et l’origine de cette existence : Dieu en serait la Cause première. D’autre part le constat de l’imperfection du monde pousse à imaginer qu’il existe une source d’absolue perfection. Cela ne signifie pas nécessairement la croyance en Dieu. Même Heidegger le grand penseur de l’Etre, faisait profession de ce qu’on a appelé un « athéisme méthodologique ».

    Mais ces constats ne suffisent pas.

    Pour rester dans notre logique philosophique occidentale, on rappellera l’opposition aristotélicienne de la puissance (dunamis) et de l’acte (energeia) : ce qui ouvre de multiples possibles (un bloc de marbre), et ce qui est effectivement réalisé (une statue). Toute la science moderne s’est construite en éliminant la notion de puissance, inaccessible au raisonnement scientifique. Plus récemment, avec Leibniz notamment, a été introduite une nouvelle notion, celle de virtuel qui serait un élément de la puissance en capacité de passer à l’acte (ou, autrement dit, de l’essence pouvant passer à l’existence). Ainsi en science, les modèles, en particulier les modèles de simulation, sont-ils des instruments qui permettent d’explorer certains champs du possible.

    Pour en revenir à notre débat, il en va de Dieu ou de l’Etre, comme il en va de la puissance : c’est un continuum définitivement inconnaissable. Il est donc vain de s’interroger sur sa nature et sa représentation. Seules ses éventuelles manifestations laissant apparaître des virtualités peuvent donner lieu à débats : incarnations dans des livres sacrés ou des êtres humains. Mais c’est une question de croyance, de foi ou de tradition culturelle. Il y aurait donc «  le Dieu de la preuve et le Dieu de la foi » ou encore « le Dieu principe et le Dieu personne » selon les expressions de François Jullien (Moïse ou la Chine. Quand ne se déploie pas l'idée de Dieu, Éditions de l'Observatoire, 2022, 384 p).

     

    2. Tout autre est la culture extrême orientale.

    Chez nous le verbe « être » possède deux fonctions principales : selon le dictionnaire Robert, dans la première il exprime une réalité, une existence, la seconde c’est une copule qui lie le sujet à un attribut. Les Chinois ignorent la première. Le concept de l’Etre leur est totalement étranger, seul le Devenir leur importe. Le verbe « être » existe bien (shi), mais seulement dans la seconde acception. On dira par exemple : « tu es professeur » ainsi Nǐ shì lǎoshī (= toi être professeur). On peut même se passer du verbe comme copule : « je suis grand » s’exprime de la sorte Wǒ hěn gāo (= moi très grand).

     

    Il résulte de ces brèves observations qu’il n’est pas besoin qu’un peuple porte intérêt ou vénération à un Dieu ou à des Dieux pour générer une grande civilisation. Tout au contraire, cette absence les met à l’abri de ces éternelles tueries de groupes humains voulant imposer à d’autres leur seule vision de leur « vrai » Dieu. Comment oser parler au nom de l’inconnaissable (ou de l’inexistant) ? Même dans les domaines les plus rigoureux de la pensée humaine comme les mathématiques, il existe des énoncés qui ne sont ni démontrables, ni réfutables (voir les théorèmes d’incomplétude de Gödel)1.

    En conclusion, donnons la parole à Michel Serres, qui, dans le même ordre d’idées,  nous rappelle « La question (qui) se pose et a été posée il y a des millénaires : Dieu est-il au-dessus de la raison puisqu’il est au-dessus de tout ? » (De bonnes nouvelles. Entretiens avec Michel Polacco, Le Pommier, 2021, 1584 p.). Question sans réponse.

     

    1. On peut aussi se référer à la fameuse théière de Bertrand Russell, célèbre mathématicien et philosophe libre-penseur. L’existence de Dieu n’est pas plus prouvable que la présence d’une théière en permanence de l’autre côté du Soleil par rapport à la Terre (c.-à-d. au point de Lagrange L3). La charge de la preuve incombe donc à ceux qui croient et non aux incroyants.

     

      • Dimanche 23 Janvier 2022 à 18:02

        Juste une remarque sur le coup de la théière de Russel. On voit bien ce qu'il veut dire, mais il faut actualiser l'exemple : on peut maintenant avec une sonde spatiale aller voir ce qui se passe au point L3, ce qui est ennuyeux pour la charge de la preuve...

      • Pierre M.
        Dimanche 23 Janvier 2022 à 23:51

        Très juste. Mais les partisans de la théière céleste, s’ils existent, renonceraient à leur conviction, si une sonde spatiale en prouvait l’inexistence. Les chrétiens n’ont renoncé à rien lorsqu’un des fondements de leur croyance, le géocentrisme, a été balayé, non sans mal. Certains musulmans doutent que des hommes aient pu poser le pied sur la Lune.

        Richard Dawkins, l’inventeur des concepts de « gène égoïste » et de « mémétique » surenchérit sur Russell en affirmant que « les fidèles de la théière ne lapident pas les non-croyants ou les hérétiques de la théière ».

      • Pierre M.
        Lundi 24 Janvier 2022 à 11:39

        J’ajoute ceci.

        La vraisemblance d’une idée ou d’une proposition peut se mesurer aux preuves scientifiques apportées. Mais elle pourrait aussi provenir de la convergence d’affirmations d’origine si différentes que la probabilité qu’elles se soient influencées est quasi nulle.

        C’est pourquoi rien ne m’empêche de croire que Dieu est une tortue géante qui porte notre Monde sur son dos. Car c’est une conviction commune à la mythologie indoue d’il y a 25 siècles (un des avatars de Vishnou), à de vieux mythes chinois, à certains peuples autochtones d’Amérique du Nord, et à je ne sais plus quel présocratique grec (Anaximandre, Anaximène ?).

    3
    Dimanche 23 Janvier 2022 à 17:58

     

    Ce que Pierre vient d'écrire recoupe totalement ce que je pense et que j'ai en partie exprimé lors du débat, certes de façon moins documentée et moins organisée !

    Je voudrais néanmoins préciser ma pensée sur cette question, que j'ai un peu abusivement appelée « approche scientifique de la question de Dieu ». J'ai voulu dire par là qu'on peut réfléchir aux interrogations d'ordre métaphysique de manière plus organisée qu'en affirmant simplement que les croyances ne peuvent être prouvées par la science et n'ont donc pas à être justifiées ; on évacue ainsi la question sans essayer de l'approfondir.

    Partons de la définition : quand on parle de « Dieu », à quoi pense t-on exactement ? Quand on regarde l'univers, sa constitution, son histoire depuis le Big Bang, l'apparition de la vie et de l'homme, ce qu'on peut envisager du futur, deux hypothèses sont possibles.

    La première postule que l'univers est comme ça, il existe, il « est » depuis toujours, il suffit de le constater sans avoir besoin de se demander « pourquoi », ni de se demander s'il y a une « cause première » à son existence. C'est donc une manière d'évacuer le problème, c'est la position des athées : puisqu'on ne peut pas répondre à cette question de manière rationnelle, ne perdons pas de temps à discuter de choses qu'on ne pourra jamais soumettre à la méthode scientifique.

    La seconde postule qu'il n'est pas possible de penser que l'univers existe comme ça, par hasard, et qu'il doit donc y avoir un « principe créateur » à l'origine des choses. Ce principe créateur n'a rien à voir avec les religions, qui sont des inventions humaines dans lesquelles « Dieu » ressemble beaucoup aux hommes et ne fait qu'imposer des règles de vie en société en définissant des valeurs à respecter. Cette hypothèse, qu'on peut qualifier de « théiste », est la mienne, car en dehors du postulat de « principe créateur » à l'origine de toute chose, donc omnipotent, tout le reste s'en déduit logiquement.

    Lorsqu'on détaille un peu ce qu'est ce «reste», cela devient vraiment intéressant : Dieu a créé l'espace, le temps et la matière. Il a défini les lois de la physique et donné aux constantes universelles les valeurs qu'elles ont ; il a créé le hasard et ses lois, mais aussi la causalité et le déterminisme, et même la rationalité. Rien qu'avec cette panoplie, on peut expliquer en grande partie le monde tel qu'il est aujourd'hui, tout en sachant qu'il reste énormément de choses à découvrir.

    Il en résulte aussi que la vie, puis l'homme, ne sont pas des créations directes de Dieu, mais le résultat des lois régissant la matière, une sorte d'émergence dans des conditions particulières, ce qui enlève à l'homme sa place privilégiée dans la nature que lui attribuent la plupart des religions.

    On peut dire ainsi que cela résout la question de la liberté de l'homme et le problème du mal. En effet, si l'homme n'a pas de place privilégiée, et n'est qu'une émergence de la matière, il est libre de ses actes, tout n'est pas écrit par la volonté de Dieu. Nous sommes donc libres en particulier de faire le mal comme le bien, on ne peut plus rejeter l'idée de Dieu pour la simple raison que le mal existe, c'est bien à nous de résoudre cette question.

    Une autre conséquence de cette vision des choses, c'est que le principe créateur est tout à fait inconnaissable. L'homme, immergé dans le temps et l'espace, fait de matière, ne peut en aucun cas imaginer ce que serait un « être » hors du temps et de l'espace. On ne peut rien savoir de ce Dieu là, on ne peut même pas spéculer sur ses « intentions », car le concept d'intention est une invention de l'homme.



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