• Comment nourrir le monde en 2050 ?

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    1
    Pierre
    Mardi 17 Juillet 2012 à 09:21

    Cette très intéressante séance mériterait qu'on en tire quelques enseignements et quelques prolongements. Je me permets donc d'en faire ici une synthèse personnelle et d'y apporter quelques compléments.

    Très schématiquement la question "comment nourrir le monde en 2050 ?" peut se résumer ainsi.

    * Le doublement en volume de la production agricole, indispensable pour nourrir correctement, quantitativement et qualitativement, une population mondiale passant de 6 à 9 milliards d'individus entre 2000 et 2050, est techniquement possible, sous de nombreuses conditions. Il est également possible d'envisager cette production en respectant les écosystèmes.

    * Ce n'est pas de l'augmentation des superficies cultivées qu'il faut attendre cette progression (à cet égard, une maladresse de rédaction du texte de présentation pourrait laisser croire le contraire : en fait, selon la FAO, au mieux d'ici 2030 on ne pourrait récupérer que 120 millions d'hectares supplémentaires, à mettre en relation avec les 1,55 milliard actuellement cultivés ; sans oublier qu'environ 5,5 millions disparaissent chaque année du fait de l'urbanisation ou de l'abandon).

    * C'est donc essentiellement de l'augmentation des rendements qu'il faut attendre la progression en volume. Il n'est pas besoin de revenir sur ce qui a été dit en séance.

    * La réduction des pertes après récolte (de 10 à 40 % selon les cas) est également une variable stratégique.

    * En dehors d'un quarteron de "vieux pépés" (selon l'expression de Michel Serres), tout le monde aujourd'hui s'accorde à penser qu'on ne peut pas confier l'économie de la production agricole aux seuls marchés non régulés. Ils sont inefficaces pour des raisons éthiques (promotion du Droit à l'alimentation), économiques (offre agricole fluctuante face à une demande alimentaire rigide ; impossibilité, en raison de la durée des cycles biologiques, d'adapter rapidement l'offre aux variations de la demande ; faible taux de rentabilité des capitaux investis dans l'activité agricole, ce qui fait par exemple qu'il est beaucoup plus "rentable" d'utiliser de l'eau fossile pure à la fabrication de composants électroniques qu'à l'irrigation de cultures). Les risques ne peuvent pas être mutualisés par l'élargissement des marchés, ni par l'assurance (probabilisation difficile, compensations spatiales improbables), ni régulés efficacement par les marchés à terme.

    * Aussi bien la théorie économique que l'observation du réel montrent que, dans ces conditions, une régulation optimale nécessite la définition de politiques agricoles volontaristes, concertées si possible entre États ou groupe d'États voisins, comprenant notamment la garantie de prix d'équilibre pour des quantités limitées et des dispositifs de stockage de précaution et/ou de régulation.

    Les politiques agricoles doivent comporter également des volets financiers (favoriser l'investissement en agriculture, talon d'Achille de ce secteur), institutionnels (le flou du statut juridique de la terre est une calamité en Afrique), scientifique (développer la formation des hommes, l'organisation des producteurs ainsi que la recherche), politique (substituer aux multiples projets, souvent généreux et coûteux, mais inefficaces et contradictoires, de véritables programmes), etc.

    * Il n'est plus concevable de développer la production sur le seul modèle de l'agriculture intensive en intrants mécaniques et chimiques qui a prévalu depuis le siècle dernier. D'un point de vue quantitatif l'agriculture biologique n'est pas la solution (les rendements y étant notoirement plus faibles : jusqu'à – 50 %) : ce ne peut être qu'une "production de niche" pour pays riches, voire pour consommateurs aisés. À l'instar de la révolution verte qui a permis à des pays comme l'Inde d'atteindre l'autosuffisance alimentaire, est préconisée aujourd'hui une révolution doublement verte (on parle aussi d'agroécologie ou d'agriculture à haute valeur écologique, en bref d'une agriculture compatible avec les objectifs d'un développement durable). Un nouveau concept est ainsi proposé, apparent oxymore, celui d'une production écologiquement intensive qui tend à produire plus et mieux avec moins. Cette nouvelle problématique qui doit tenir compte des spécificités locales, est, on s'en doute, d'une extrême complexité. Elle nécessite de revoir entièrement les modèles techniques existants et donc que soient entrepris de très gros efforts de recherche et de développement.

    * Il est assez symptomatique d'observer que les agronomes de terrain qui ont été amenés à imaginer de tels modèles, redécouvrent ainsi les propriétés de la théorie de la viabilité des systèmes : un écosystème est viable quand on peut le gérer de telle sorte que soit garanti le renouvellement des ressources naturelles renouvelables qui le composent. Ils vérifient également les alarmes qu'émettaient certains penseurs critiques à l'égard de la technologie moderne comme Jacques Ellul. Ou des philosophes comme Heidegger : pour celui-ci, à la différence de la technique traditionnelle qui ne fait que dévoiler les bienfaits que nous offre la nature généreuse, la technique moderne utilise la violence pour faire advenir des choses qui n'existaient pas normalement en elle : ce n'est plus de la pro-duction mais de la pro-vocation. C'est exactement ce qui se passe dans le "forçage", c'est-à-dire lorsqu'on augmente les rendements par des apports artificiels et importants de produits extérieurs (les intrants).

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