• C.R. du 14/10/2023 Les crises des temps modernes sont-elles de graves menaces notre civilisation ?

    Les crises des temps modernes sont-elles de graves menaces pour notre modèle civilisationnel ? (invitation à la prospective)

     

    En dépit de changement d’horaire, dû aux risques de chahut pendant la retransmission d’un match de rugby, la séance a réuni 16 participants, dont deux nouveaux.

     

    Comme de coutume, le sujet proposé a été peu abordé : les diverses thématiques qui y étaient présentées ont surtout provoqué de nouveaux questionnements et des réponses diverses. Pour autant ce ne fut pas moins intéressant et animé.

     

    La démarche prospective, même si elle fut quelque peu oubliée, a nécessité quelques éclaircissements. La prospective « science de l’homme à venir » dont le concept assez récent a été formulé – un intervenant l’a cité –par Gaston Berger, s’oppose aux autres méthodes de prévision, mathématiques notamment, en ce qu’elle est interdisciplinaire et introduit des paramètres qualitatifs. Ce sont les Américains qui, les premiers, en firent usage à la fin de la dernière guerre mondiale.

    Il n’y a pas une seule méthode : les principales sont la méthode Delphi, celle des scenarios. Ce qui était proposé ce jour était beaucoup plus limité : à partir d’un thème particulier, tenter de relever les faits porteurs d’avenir et essayer, bien modestement, d’en tirer des conséquences. Mais, alors que ce texte se voulait seulement factuel, la plupart des intervenants l’ont jugé trop pessimiste.

     

    Principaux sujets abordés (regroupés de façon thématique), questions, réponses

    1. Un des principaux problèmes des temps à venir est la recherche permanente de l’équilibre entre consommation et population en croissance, Malthus l’avait bien vu. On devrait pouvoir compter sur les ressources de la mer.

    Il est vrai que Malthus s’était trompé. Bien plus, l’économiste danoise Ester Boserup, avait démontré au siècle dernier que, par le jeu de la pression démographique, la population est une richesse. A noter qu’elle s’était beaucoup préoccupée du rôle des femmes. On peut juger de la validité de sa thèse lorsqu’on observe qu’aujourd’hui la puissance et le rayonnement d’un Etat est très lié à l’importance de sa population (Cf. Inde).

    S’agissant des femmes, on insiste sur l’importance de leur éducation.

     

    2. Le concept de crise doit être explicité. Ce n’est pas nécessairement un événement négatif, c’est en tout cas une rupture, une mutation, attendue ou non, D’ailleurs on cite souvent le terme chinois qui traduit ce concept : wēi jī qui se décompose en deux caractères wēi qui signifie « danger » et pour « opportunité ».

     

    3. Tous les humains n’ont pas les mêmes responsabilités dans les crises. Chaque Américain pèse plus que bien d’autres pour ce qui concerne la consommation de ressources (énergie en particulier).

     

    4. Les vraies crises de notre temps ne sont pas économiques mais culturellesC’est là une vérité qui gêne (voir ci-après § 5). En premier lieu il faut donc dénoncer l’ignorance. Sont cités également, en vrac, le travail aliénant, la recrudescence de dépressions chez les jeunes, les complications administratives françaises, ainsi que leurs contraintes (comme toujours est citée l’obligation vaccinale que quelques-uns réprouvent),  les contraintes communautaires européennes, l’ultralibéralisme, les excès de la normalisation, la prégnance de réseaux sociaux, la culture de l’individualisme...

    On insistesur la complexité du monde moderne qui ne permet pas de comprendre la situation présente. Est évoquée aussi la question de la responsabilité de l’homme, érigée en principe par Hans Jonas.

     

    5. L’accent est mis sur le spirituel et le culturel. Sur la question des valeurs. La question est posée « Qu’est-ce qui fait d’un bébé un homme » (une féministe pure et dure pourrait ajouter « une femme »). C’est un processus très complexe. A titre d’exemple, on cite un point de vue énoncé par le sociologue Henri Mendras qui expliquait le comportement cyclothymique des Russes par la façon dont ils étaient emmaillotés bébés, très serrés, provoquant périodes de contraintes suivies d’heureuses libérations.

    Le comportement des êtres humains dépend donc largement du contexte culturel. Y a-t-il choc des cultures ? En tout cas il n’y en a pas une qui soit supérieure à l’autre. Différence ne veut pas dire supériorité. Et pourtant elles sont très différentes : citation est faite des  4 ontologies de Philippe Descola. Il y a en tout cas des difficultés de compréhension mutuelle.

     

    6. Comment mieux se comprendre ? Faut-il parler la même langue ? Une langue unique comme l’espéranto ? Pas réaliste. Chaque langue a son propre génie. Umberto Eco à « La recherche de la langue parfaite » montre qu’il n’y a aucune qui puisse traduire la totalité de l’expression humaine : l’impérialisme de l’anglais fait dégénérer cette langue. A la limite, pour lui, ce serait peut-être le langage des Aymaras, peuple indigène de Bolivie, qui serait le plus pertinent !

    En tout cas, si le bi- voire le multilinguisme est une chance, la langue française est un trésor qu’il nous faut préserver. Trésor en mutation dans le temps et dans l’espace. On peut regretter que nos responsables politiques n’en soient pas conscients (baisse des moyens des Alliances Françaises : on croit des investissements industriels ponctuels plus efficaces que l’investissement à long terme dans la culture. Ce n’est pas le cas des Chinois (Instituts Confucius).

     

    7. Enfin certains s’interrogent sur ce qui peut nuire à notre culture, à notre civilisation. Inévitablement la focale est dirigée vers le problème de l’immigration. Les avis sont assez tranchés.  On estime que tout migrant doit se plier aux règles du pays qui l’accueille. Mais n’y en a-t-il pas qui le refusent et deviennent des ennemis de notre civilisation ? C’est sans doute une minorité qui s’applique à détruire nos valeurs, mais on ne peut l’ignorer. Pourtant il ne faut pas tirer une règle générale de quelques cas particuliers : pour un Al Capone aux USA combien d’Enrico Fermi ou de Frank Sinatra ? C’est souvent un enrichissement culturel pour le pays d’accueil.

    Aléatoire et risquée, l’émigration est rarement un choix. Dans le passé le moteur en fut la famine (les Irlandais qui ont donné les Kennedy à l’Amérique), la pauvreté (les Italiens en Amérique du Sud,) De nos jours encore les guerres et la famine. Dans certains cas, comme en Afrique où existe le système de la tontine, les villageois se cotisent et donnent ainsi les moyens à l’un de leurs jeunes de s’expatrier, à charge pour lui de faire bénéficier à son village d’une partie des revenus qu’il pourrait tirer de son expatriation. Souvent nécessaire pour la survie de communautés, elle est très risquée et nécessite confiance et courage.

     

    P. M. 16/10/2023

     

    Note complémentaire

     

    Un participant habituel (Bruno) ne pouvant pas être présent à la séance avait envoyé ses observations par anticipation. Compte tenu de la densité des échanges, il n’avait pas été possible de les discuter. Les voici présentées ci-dessous, accompagnée (en italiques)pour la seconde de quelques commentaires de l’animateur du débat (PM)

     

    1°) - ... les crises ou les catastrophes ne sont pas toutes de même nature : Il y en a qui sont naturelles, d'autres résultent des ambitions des hommes, ou de leur manque de prévoyance. ...

     

    2°) - Dans la deuxième partie "Invitation à la prospective", tu sembles supposer que le réchauffement climatique est inéluctable ...

    Mais c'est désespérer de la sagesse humaine. Le réchauffement peut être contenu dans des limites supportables si les gens aisés de la planète, qui sont souvent aussi des diplômés des universités et capables de comprendre les impacts de leur mode de vie, admettent la démesure du mode de consommation matérielle qu'ils ont atteinte, et comprennent que des limites doivent être posées à notre parc mécanique. On doit faire un usage à la fois plus sobre et plus convivial de ces outils mécaniques. Le bonheur est-il dans la multiplication des machines, ou dans les bonnes relations avec notre entourage humain ? Nous sommes face à un problème éthique, et c'est sur ce plan que nous devons interpeler nos concitoyens les plus aisés, en raison des responsabilités qu'ils exercent dans la société. 

     

    Certes on peut essayer de compter sur la sagesse des êtres humains. Quoique… Une chose est bien connue de tous les économistes et/ou psychologues, c’est la préférence pour le court terme. C’est encore plus vrai pour les hommes politiques. Les modestes engagements pris à l’unanimité de la COP21 de 2015 (conférence de Paris) de Paris n’ont pas été tenus. 

    Et,  tous les spécialistes le savent (Jean Jouzel par exemple) : c’est le stock actuel de CO2 et non le flux qui provoque ce réchauffement : même si nous n’émettions plus rien, le mal est fait. Évidemment il sera plus ou moins préjudiciable selon l’importance des émissions futures. En tout cas le réalisme n’engendre pas le pessimiste : l’espèce humaine est très résiliente. 

     

    P.M. 17/10/2023


  • Commentaires

    1
    Pierre M.
    Lundi 23 Octobre 2023 à 15:49

    Hors séance, une question individuelle a été posée à laquelle il parait utile d’apporter une brève réponse collective : « quelle différence y a-t-il entre prospective et science-fiction (SF) ou anticipation ? ». Pour être bref on pourrait dire que c’est à peu près la même qu’entre science et poésie. L’une et l’autre, très proches dans l’Antiquité, se sont progressivement distanciées pour de multiples raisons, ne serait-ce que du fait du caractère de plus en plus spécialisé des disciplines scientifiques. L’une et l’autre pourtant sont créations et visent à une meilleure compréhension du monde qui nous entoure et de notre place dans celui-ci. On a trop tendance dans le langage courant à concevoir la poésie d’une façon restrictive (forme littéraire)  et selon la façon dont elle s’exprime (techniques de versification). Pour Platon  poíēsis est création.

     

    La prospective est une approche méthodique, quelle que soit la méthode utilisée. Elle est proche de la méthode des sciences expérimentales, telle que Claude Bernard l’envisageait : observation des faits, émission d’une hypothèse, retour aux faits afin de valider ou d’invalider l’hypothèse. Sans entrer dans les détails on peut indiquer qu’une des spécificités de l’approche prospective est la veille technologique et la détection de « signaux faibles », des faits éventuellement porteurs d’avenir. A partir de là s’impose le recours à des méthodologies rigoureuses, comme celles citées dans l’exposé (Méthode Delphi, scénarios, etc.) que l’on ne détaillera pas.

     

    La SF peut partir des mêmes a priori mais emprunte des voies différentes, celles de l’imagination, de l’inspiration, souvent par extrapolations audacieuses à partir du vécu de l’auteur. Quand bien même toutes ces extrapolations ne se confirment pas, certaines peuvent se trouver vérifiées : par exemple la télévision imaginée par Jules Verne dans son « Château des Carpathes » ; ou anticiper un avenir potentiellement dangereux comme « 1984 » de George Orwell, ou encore inspirer nos contemporains comme les « lois de la robotique » d’Isaac Asimov. D’autres n’évoquent pas un « plus tard » mais un « ailleurs » ou un « autrement » qui nous incite à la réflexion, comme les « Animaux dénaturés » de Vercors ou encore « Ishmael » de Daniel Quinn.

     

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :