• Vingt-huit personnes étaient présentes, parmi lesquelles une vingtaine ont pris la parole.

    Le papier d'introduction proposé par Jean-Paul a suscité d'emblée des critiques de la part de plusieurs participants : « morbide, déprimant », « description accablante des retraités », « vision triste de la vieillesse », utilisation choquante de certains mots tels que « décrépit ». Jean-Paul a répondu en indiquant que les participants aux réunions du Café-Débat, bien que majoritairement retraités, n'étaient pas représentatifs de la moyenne de la population française : en meilleure santé, actifs, instruits, ils ne passent pas leur temps à regarder la télévision à longueur de journée, sans parler de ceux qui sont atteints de troubles liés à l'âge : sénilité, Alzheimer, etc. C'est peut-être difficile à entendre, mais ce n'est que l'énoncé peut-être un peu brutal de faits avérés.

    Le débat qui a suivi a développé les thèmes suivants :

    Qu'est-ce que la mort ?

    Le titre du débat aurait dû conduire à ce que chacun essaie de définir ce que la mort voulait dire pour soi-même. En fait, curieusement, cet aspect n'a pas été développé du tout, en dehors d'un participant : « la mort est la séparation de l'âme et du corps ». Cependant, le fait que la mort est un mystère inaccessible à la connaissance par l'expérience a fait consensus, et par conséquent le débat, pour l'essentiel, s'est orienté sur tout ce qui entoure la mort et non sur la mort elle-même.

    La mort est un instant de passage, la mort en soi n'est rien : avant, on est en vie et il faut alors parler de la vie et, dans les derniers moments, du mourant ; après, personne ne peut rien en dire puisque personne n'en est jamais revenu pour témoigner.

    Il a été remarqué que si on ne peut rien dire de ce que nous devenons après la mort, on ne peut rien dire non plus de ce que nous étions avant notre naissance : la vie est une belle expérience située entre ces deux moments, il n'y a qu'elle que nous pouvons connaître.

    Sans qu'on puisse l'expérimenter, il semblerait que la mort soit comparable à un sommeil profond, sans rêves, dont on ne se réveillerait pas, mais cette comparaison a ses limites.

    Que se passe t-il après la mort ?

    Pourquoi avons-nous très souvent peur de la mort ? La mort est un mystère, c'est l'inconnu, et l'inconnu attire autant qu'il fait peur. Nous avons aussi besoin de savoir ce qui va, peut-être, se passer « après ». Y a t-il une vie après la vie ? Si oui, que pourrait-elle bien être ?

    Beaucoup ont indiqué qu'après la mort il n'y avait rien, que c'était le néant qui nous attendait, et qu'il ne fallait donc pas en avoir peur puisque nous n'existerions plus. Mais il semble bien que la disparition de l'ego personnel est inimaginable pour la plupart d'entre nous, et qu'en conséquence il doit bien y avoir quelque chose après la mort. Même pour les croyants, l'image d'un paradis ou d'un enfer telle qu'elle est décrite dans diverses religions ne doit pas être prise à la lettre, devant maintenant s'envisager sur Terre. Si l'âme existe et survit après la mort, elle est retournée à l'éternité, c'est à dire à quelque chose d'intemporel dont nous ne pouvons rien dire.

    Certains pensent néanmoins que les morts sont toujours parmi nous mais que nous ne les voyons pas, d'autres croient fermement que « la chenille devient papillon » et qu'après notre vie terrestre quelque chose de mieux nous attend.

    De longs échanges ont eu lieu sur la question des expériences de « mort imminente ». De nombreux témoignages concordants ont décrit un long tunnel conduisant vers une lumière blanche derrière laquelle se trouverait l'autre monde, seuil qu'ils n'ont pas franchi. D'autres ont décrit des expériences de « décorporation », la personne se voyant planer au-dessus de son corps, entendant les conversations, et pouvant même explorer les environs. Il a été précisé néanmoins que des recherches médicales avaient montré que les mêmes effets avaient été obtenus par l'usage de certaines substances, et qu'en conséquence ces sensations de mort imminente s'expliquent en grande partie par un état mental particulier lié au fonctionnement du cerveau en conditions anormales. Enfin, rien ne prouve que la couleur blanche soit le signe d'un monde meilleur situé derrière le seuil.

    Brièvement a été évoquée également la question de l'âme. Si la plupart des participants estime que l'esprit et la conscience sont supportés par le cerveau et n'existent pas sans lui, la question de l'âme reste entière. Elle distinguerait les hommes des autres êtres vivants, et a fortiori des robots. Un homme sans âme ne pourrait alors se distinguer d'un robot doté d'un logiciel de morale, ce ne serait qu'une masse de neurones agissant mécaniquement.

    Sur un autre plan, après la mort reste chez les vivants le souvenir de celui qui n'est plus : ce qu'il a été, ce qu'il a accompli. A long terme, il ne reste plus que ce qu'il a accompli : le souvenir de l'individu Mozart est presque oublié aujourd'hui, mais sa musique est bien toujours présente.

    La biologie et l'immortalité

    Chaque individu, chaque être vivant naît, vit et meurt. C'est une donnée de base, et nul n'y échappe. C'est aussi une nécessité pour l'évolution des espèces, car il faut que les individus meurent pour que l'espèce progresse et s'adapte. A ce titre, la mort en soi n'est qu'une transition entre l'état vivant et l'état inerte, le moment où la vie s'arrête, les causes pouvant être variées.

    Cet aspect a été peu développé, sauf sur un point, celui de l'immortalité. Les progrès de la médecine font que la durée de vie s'accroît, que les greffes se multiplient, et que la plupart des organes pourront être remplacés par des prothèses de plus en plus sophistiquées. L'homme biologique est programmé pour une durée de vie maximale de 120 ans environ, qui pourrait être encore allongée grâce à différentes possibilités : mise en réserve de cellules souches, clonage des individus, développement d'organes électro-mécaniques ultra miniaturisés à fonctionnalités étendues, etc.

    Le seul organe qui ne pourra être remplacé est le cerveau, sous peine de perdre son identité, et cela même si on arrive à lui conserver l'intégralité de ses fonctions. D'autre part, sa capacité de mémoire est limitée, et à la longue tout souvenir nouveau nécessitera la destruction d'autres souvenirs : à 200 ans, se souviendra t-on encore de son enfance ?

    L'idée qu'un « nouvel homme » va nous succéder a aussi été évoquée, sans que l'on sache aujourd'hui ce qu'il sera ni quand il apparaîtra. Mais il semble clair que la généralisation d'un homme immortel signifierait arrêt et stagnation, puisque cela impliquera l'impossibilité pour les jeunes de vivre à leur tour.

    D'autres ont aussi évoqué la possibilité, en cas de maladie grave incurable, de se faire congeler en attendant la mise au point future d'une technique de guérison.

    La mort fait partie de la vie

    Autrefois, la mort était omniprésente en raison des guerres, de la mortalité infantile, et de la dureté des conditions de vie. C'était pratiquement une donnée quotidienne à laquelle chacun était confronté en permanence. C'est moins le cas aujourd'hui : on ne côtoie plus la mort, elle n'est plus guère dans les conversations, on la voit à la télévision, ailleurs, et dans de rares rites funéraires qui nous impliquent plus ou moins sauf lorsque c'est un proche qui disparaît.

    Ce qui reste toujours, par contre, c'est la douleur des proches lorsque la mort est passée. L'absence devient palpable, le souvenir est souvent source de souffrance pour les vivants. Mais il a été dit également que cette mort peut être vécue comme une libération, aussi bien pour la personne elle-même qui vivait une longue agonie ou une vie insupportable, que pour les proches qui y assistaient.

    La question des rites funéraires a fait l'objet de nombreux échanges. Beaucoup ont insisté sur leur utilité sociale : si la mort n'est rien en elle-même, car on ne vit pas sa propre mort mais celle des autres, elle rapproche les vivants. Néanmoins, l'habitude prise de « sous-traiter » la préparation des défunts et l'organisation des funérailles à des entreprises montre que la mort est un marché, source de profit. Autrefois, et encore maintenant dans certaines régions du monde, la participation active de la famille à la toilette mortuaire du défunt aidait à vivre cette mort ensemble et à réfléchir à la sienne, procurant ainsi une certaine sérénité.

    Accompagnant les rites, il y a aussi tout un pan « administratif » qu'implique la mort d'un individu : déclaration à l'état civil, faire-part aux proches et aux amis, héritage, inventaire des biens, etc

    Sans la mort, la vie perd de son goût. C'est pourquoi plusieurs intervenants ont insisté sur la nécessité de bien vivre sa vie plutôt que de trop penser à sa mort et à « l'au-delà ». Ce qui compte, c'est se sentir en vie à tout moment, c'est cultiver son aptitude au bonheur, c'est acquérir au fil de son expérience de la sagesse pour aboutir à une certaine sérénité. Il faut vivre avec les autres, donner du sens à sa vie quel que soit ce sens, réaliser un travail intérieur pour y parvenir.

    La question de savoir ce qu'est une « belle mort » a divisé les participants. Certains pensent que mourir pendant son sommeil ou succomber brutalement sans souffrir est ce qu'il y a de mieux. D'autres au contraire estiment que, pour soi et pour ses proches, il faut bien « préparer » sa mort, l'idéal étant de mourir en bonne santé et d'éviter la souffrance.

    Mais « préparer » sa mort conduit cependant à des interprétations différentes :

    • certains se limitent aux questions administratives (faire un testament, avoir un contrat obsèques, soulager les vivants du maximum de choses ennuyeuses),

    • d'autres insistent sur le fait que la vieillesse, la retraite, n'est pas l'antichambre de la mort ni une mort diluée, mais une période de la vie qui peut être très riche aussi bien pour soi que pour les autres : si leurs capacités physiques diminuent, les seniors restent souvent très dynamiques, essayant par leur expérience ou leur sagesse d'aider les plus jeunes à démarrer dans la vie, militant dans des associations, faisant du sport ou simplement cultivant leur jardin,

    • enfin, préparer sa mort veut dire aussi essayer de choisir sa mort quand cela est possible. Une brève discussion a évoqué l'euthanasie et le suicide, certains affirmant que chacun étant propriétaire de son corps était donc libre de mourir à sa guise, soulignant ainsi les insuffisances de la loi française, d'autres indiquant cependant qu'on peut changer d'avis si on s'en abstient, comme différents exemples l'ont montré.

    Il a été cependant souligné que la plupart du temps on ne choisit pas sa mort, on est toujours victime d'une usure, d'une maladie, d'un accident, d'un crime.

     

                                                                                                                     Synthèse réalisée par Jean-Jacques Vollmer


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