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Ethique de la joie contre morale ascétique : Spinoza est-il toujours d'actualité ?
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Commentaires
2PierreMardi 17 Juillet 2012 à 09:21Ne pouvant assister à la réunion voici quelques remarques et quelques questions que j'aurais aimé poser.
Observations générales
- Tout à fait d’accord pour ce coup de chapeau à Spinoza et son courage (il est vrai qu’aux Pays-Bas la répression des hétérodoxes était moindre qu’ailleurs et que son “Éthique” et quelques autres œuvres majeures n’ont pas été publiées de son vivant).
- Je ne le connais pas bien, mais j’avoue que je n’aurais pas pensé le caractériser par l’éthique de la joie. D’abord parce qu’il y a des choses bien plus importantes dans son œuvre, par exemple son distinguo entre nature naturante et nature naturée (concept très moderne), sa critique du finalisme, et surtout peut-être ce qu’il a qualifié de conatus, cet effort qui serait la caractéristique de toute chose (de nos jours on parlerait de “système”). Chaque chose “s’efforce de persévérer dans son être”. Admirable définition, notamment, de la résilience du Vivant.
- D’autre part Spinoza ne s’est pas focalisé que sur la seule joie : il s’est intéressé à tous les sentiments (affects) : le désir, la tristesse, et aussi l’amour et la haine.
- D'ailleurs sur un point la remarque précédente de Benoît (signée Delcourt) me semble pertinente : je ne pense pas que Spinoza opposait la joie (un affect) à l'ascèse (un comportement). Il l'opposait à la tristesse.
- Ceci posé, je suis évidemment très séduit par son approche et à la question que tu poses “est-il toujours d’actualité" ?” je répondrais qu’il est plus que jamais d’actualité. Même si son panthéisme, courageux à l’époque, a semble-t-il un caractère un peu forcé. J’ai plutôt l’impression qu’il était un athée qui n’osait pas aller jusqu’au bout de son audace. Ne serait-ce que pour avoir la possibilité de s’exprimer.
- Spinoza n’est tout de même pas le premier à avoir développé sinon une éthique, du moins une morale positive : sans parler d’Épicure ou de Lucrèce n’oublions pas notre bon vieux Rabelais.
Questions que j’aurais aimé poser
- La mode est actuellement à l’éthique. Ne serait-ce pas dû au fait que nous sommes dans une société qui a perdu ses repères : l’homme en société, privé de ses instincts animaux, a besoin de règles de comportement pour survivre. Jusqu’à présent il les trouvait dans les injonctions des pouvoirs civils ou religieux. Aujourd’hui ces pouvoirs sont contestés, les idéologies structurantes ont disparu, il faut bien se raccrocher à quelque chose (c’est dans les périodes de trouble, de révolutions, de guerre que la préoccupation éthique ou méta-éthique devient forte : Kant, Max Weber). L’éthique ne construit pas des règles de décision, mais fournit les bases de ces règles.
- Ce qui frappe c’est que le substantif éthique est toujours accompagné d’un qualificatif : ici – de la joie, mais il y en a une multitude (- de conviction ou de responsabilité pour revenir à Weber, – de la discussion, – déontologique, - des préceptes, - des principes, – des vérités, etc., etc.). Comment dans ces conditions aboutir à un consensus pour fonder une vision commune : c’est comme si chacun choisissait le système d’unités de mesure qui lui convient le mieux.
- Tu as raison de lier cette question à cette vision dualiste du monde, mais d’un dualisme propre aux peuples indo-européens et sémitiques : la dualité du bien et du mal (le dualisme asiatique et chinois ne porte pas cette vision manichéenne). La question que je me pose est celle de savoir si ce n’est pas là un mode d’exercice du pouvoir : les pouvoirs civils et/ou les pouvoirs religieux ne peuvent perdurer que s’ils assoient leur légitimité sur des règles dont ils sont les seuls à détenir les arcanes. Tu cites Pandore, j’aurais plus volontiers cité Prométhée, le Serpent ou Lucifer (étymologiquement celui qui apporte la lumière) : ceux qui apportent la connaissance aux hommes sont punis et punis sont ceux qui s’en revendiquent.
Remarques de détail
- Je ne trouve pas que la littérature de Spinoza soit absconse. Bien au contraire elle est d’une extrême précision : il a construit son Éthique comme un traité de mathématiques avec hypothèses, axiomes, postulats, démonstrations, lemmes, etc. C’est plutôt ça qui en rend la lecture difficile.
- Je ne vois pas le lien entre Gilgamesh et Noé. D’abord parce que son épopée a été écrite bien longtemps avant la Bible, peut-être un millénaire avant. Il est vrai que ce récit est le creuset de tous les mythes, celui de déluge notamment. Mais je me demande si, lui qui était obsédé par la mort, n’est pas à l’origine de la première forme d’éthique, celle qui consiste à constater, comme ce fut son cas, que l’homme est mortel fut-il un demi-dieu voire un quasi Dieu, et qu’il vaut mieux profiter le plus possible de son passage sur la Terre.
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Le mot "joie" est employé à contre-sens dans tout le texte, et ne signifie pas "plaisir", mais "bonheur", bien que le mot voisin "jouir" ait la même racine (les mots évoluent à partir de leur racine, et deux mots ayant même racine n'ont pas forcément le même sens) . Opposer l'ascèse à la joie est une faute grave de langage, un contre-sens.
C'est vrai que les religions se méfient du "plaisir", mais c'est un autre débat.
Spinoza n'était pas le philosophe de la "joie", mais de la liberté et du bonheur (voir ce qu'en dit par exemple Wikipedia), et notamment du bonheur que procure la connaissance. Or il peut y avoir du bonheur sans plaisir (beau sujet pour un café-débat). Et d'ailleurs il ne s'opposait pas vraiment aux religions, même si ces dernières le voyaient d'un mauvais oeil. Et on peut aujourd'hui se sentir proche d'une religion et néanmoins "Spinoziste".
Quand à la "conception tragique de la vie" qui serait professée par les religions pour préserver leur "fonds de commerce", il suffit de s'informer (en ce moment Homs, les talibans, etc...) pour voir que ce n'est pas une spécialité des Eglises, mais une réalité humaine. Spinoza lui-même a certainement éprouvé tout le tragique de sa propre vie....