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C.R. du 8 Janvier 2021. Comment prendre une bonne décision ?
Comment prendre une bonne décision ?
La réunion, réalisée en visioconférence, a réuni 14 personnes.
Nous avons, un peu artificiellement, regroupé les interventions en trois chapitres, de manière synthétique.
1/ Nature et facteurs d'une « bonne » décision
Il a été rappelé d'emblée que le terme « bonne » implique un jugement de valeur pour toute décision, alors que ce qui est bon est quelque chose de tout à fait relatif par rapport à l'objectif poursuivi, très différent selon le domaine concerné.
Nous devons avoir à l'esprit que décider, c'est s'amputer d'une part de notre liberté, sans oublier qu'attendre, c'est très souvent une mauvaise façon de faire. Il faut cependant savoir à quoi on renonce, cela peut être aussi important que le choix qui est fait.
Il existerait trois catégories de décisions : rationnelle et logique, logique tempérée par un biais émotionnel, totalement affective. Ces décisions sont le lieu d'affrontement de divers biais cognitifs, l'ensemble étant bien décrit par Daniel Kahneman qui distingue deux modes de pensée : le système 1 (rapide, instinctif et émotionnel) et le système 2 (plus lent, plus réfléchi et plus logique).
Une décision est d'autant meilleure qu'on est bien conscient des enjeux, que la question est clairement énoncée, que le problème est bien réel. Mais il arrive, notamment dans les organismes publics, qu'on néglige l'approche systémique d'une question, trop lente, pour ne s'intéresser qu'aux aspects immédiats ou apparents. L'exemple de la loi sur les forages illégaux, génératrice d'inégalités de traitement, a été évoquée.
Beaucoup de choses se révèlent indécidables de manière uniquement rationnelle, car le champ des possibles est vaste et les facteurs nombreux : on décide toujours dans un environnement incertain, il n'existe pas de bonne décision qui soit unique.
La rationalité n'est pas tout, il faut se servir de ses émotions tout en les maintenant à distance consciemment. Sur ce plan, il faut éviter de décider dans la mouvance d'une idéologie, souvent théorique et détachée de la réalité, ou sous le coup d'une émotion violente telle que la colère.
Outre la durée dont on dispose pour décider, le facteur temps est important d'une autre façon : une décision doit être prise au « bon » moment, car ce qui est fructueux aujourd'hui peut devenir désastreux demain. En effet, les conséquences de nos décisions doivent être examinées avant, d'une manière ou d'une autre, et être évaluées après. On peut éprouver du contentement, des regrets, mais il ne faut jamais juger a posteriori ce qu'on a décidé à un moment donné, qui ne serait plus vrai à un autre moment.
Par ailleurs, une décision prise « à chaud » est généralement le fruit de l'intuition, de l'affect, alors qu'une décision prise « à froid » laisse le temps d'agir à ce que nous avons de rationnel.
Un échec est très souvent positif et formateur : essayer et échouer peut être plus important que réussir du premier coup. On peut apprendre à décider, il ne faut pas hésiter à se faire aider pour éclairer nos choix quand nous sommes le décideur final.
Mais a t-on toujours le choix ? Certains pensent que non : « Je n'avais pas le choix d'agir autrement », ce qui peut apparaître comme une tentative pour fuir ses responsabilités. D'autres pensent qu'on a toujours le choix, même si c'est entre deux mauvaises solutions, à l'image du dilemme du tramway . C'est alors un acte de courage, car il faut assumer ce qu'on a décidé, même si on n'en est pas maître.
De manière plus générale, la place des valeurs et de l'éthique dans les prises de décision ont été reconnues, mais pas abordées sur le fond. Il a été simplement indiqué qu'il pouvait y avoir souvent conflit entre la morale d'une décision et son efficacité.
2/ Décider dans sa vie personnelle et affective
Comme dans la vie professionnelle et les choix de société, on est confrontés dans notre vie personnelle et affective par des choix rationnels et émotionnels, car, au-delà des décisions de nature automatique ou routinière, le choix est au cœur de la condition humaine. Les échanges qui ont eu lieu ont porté majoritairement sur l'éducation des enfants et les comportements d'achat.
Les enfants, on les fait, on les éduque, on les introduit dans le monde, on participe à leurs orientations futures. Force est de reconnaître qu'on a beaucoup plus de choix aujourd'hui qu'il y a cinquante ans, la technique élargissant le champ des possibles : contraception, santé, système éducatif, loisirs, métiers, la palette est très fournie et les informations de toute nature disponibles immédiatement. Ce n'est pas pour autant que les choix que font les parents pour leurs enfants, ou faits par les enfants eux-mêmes sont bien meilleurs qu'auparavant. Par exemple, choisir d'accoucher chez soi, et éduquer ses enfants à la maison plutôt qu'à l'école, sont des choix un peu extrêmes qui ont une importance énorme sur le développement des enfants.
Le choix d'un conjoint ne concerne pas les parents, même s'ils ne se privent pas de donner leur avis. Il est rarement rationnel, plutôt psychologique ou sentimental ; et si les parents peuvent conseiller leurs enfants sur le choix d'un métier, il n'est pas certain qu'ils soient écoutés. Pourtant, choisir un cursus scolaire et universitaire et un métier même quand on a 18 ans, ce n'est pas facile. La question du choix de ce que sera sa vie quand on est jeune est donc très difficile, et résulte d'un mélange d'aspects rationnels, de désirs propres, d'écoute plus ou moins attentive des conseils parentaux, de tout ce que la société donne à voir et exiger, et les critères sont nombreux qui s'entrecroisent. Il faut bien admettre que le hasard est ici au cœur du choix des jeunes, trop souvent indécis, soumis à l'enthousiasme du moment ou à des pièges émotionnels.
Comme en amour, les décisions d'achat, que ce soit pour une maison, une voiture, ou quelque chose d'important, sont très souvent le résultat d'un coup de cœur, qui peut effacer l'importance d'un choix plus rationnel effectué au travers de critères pourtant pas toujours explicites. Le coup de cœur aveugle souvent sur les vrais enjeux qui sont oubliés. Parmi les nouveaux critères de choix énoncés figure en bonne place la valeur d'un achat en terme de développement durable, qui devrait mettre en arrière plan les notions de plaisir ou d'envie. Nous avons tous des progrès à faire dans cette direction.
La discussion a porté également sur la difficulté des jeunes à s'engager quand ils sont majeurs : utiliser son droit de vote, jouer son petit « colibri » en matière d'environnement, participer activement aux stages possibles pour se confronter à la réalité. Beaucoup veulent tout comme si c'était un droit, tout et son contraire. Mais a contrario, d'autres ont trouvé très tôt leur vocation, et y reviennent après avoir erré dans des voies qu'ils n'avaient pas choisies.
3/ Décider dans le domaine professionnel
C'est dans le domaine professionnel que la manière de décider est la plus rationnelle, la plus organisée, la plus collective. Lorsqu'il s'agit de questions techniques, il est important de bien connaître le sujet, et les choix s'imposent souvent d'eux-mêmes au travers de procédures de délibération méthodiques. Les experts d'un domaine sont ceux qui ont vécu des expériences formatrices dans le passé, et leurs avis en sont souvent le fruit non exprimé sans qu'ils puissent toujours le formuler de manière explicite. Quand il s'agit de décisions stratégiques, seuls les plus hauts responsables sont concernés, mais leur décision s'appuie sur des approches multicritères, après un lent travail de préparation en profondeur impliquant tout le monde. Pour réussir, une entreprise doit savoir s'adapter aux conditions extérieures au plus vite, savoir traiter les aléas, bref savoir se remettre en cause à bon escient : en permanence elle doit s'estimer en « temps de crise » et s'entraîner à décider pour réagir de la meilleure façon. Inversement, de mauvaises décisions peuvent être induites par des conflits d'intérêt, par des luttes d'influence, par le souci d'aller dans le même sens que le patron pour être bien vu,...
Des exemples ont été évoqués, dans le milieu automobile et dans le milieu médical.
Dans le milieu automobile, la conception d'un nouveau véhicule est le fruit de discussions de groupe, de nombreuses réunions, d'essais techniques de validation de solutions possibles, de choix innovants passés au crible de la faisabilité et du marché. Le véhicule ainsi conçu est le fruit de la synthèse et de l'évaluation des travaux d'étape et de l'expertise d'un grand nombre d'acteurs, sous la houlette de managers et de chefs de projets qui ont su s'entourer des compétences adéquates. Ce sont souvent des compromis. Mais comme dans d'autres domaines, il faut savoir décider sans attendre d'avoir trop de certitudes, car tout retard a des impacts sur les coûts de développement comme sur la rencontre du marché. La bonne décision dépend aussi de la capacité d'anticiper les situations critiques et de détecter les signaux faibles par les responsables et leurs équipes. Souvent, dans ces lieux de décision collective, on recherche le consensus plutôt que le compromis. Ceci veut dire qu'à la fin, chacun doit défendre la décision prise même s'il est en désaccord avec elle.
Dans le domaine médical, l'exemple d'interventions chirurgicales difficiles a été évoqué. Ici, la technique s'appliquant à l'humain implique beaucoup de situations où il est question d'éthique et de valeurs morales. Dans l'acte chirurgical, même si le chirurgien utilise des techniques et des protocole très précis, il est souvent confronté à des situations critiques où il est seul à devoir prendre des décisions dans l'urgence. Sa décision légitime un acte normatif, mais elle ne suffit pas, la compétence de son équipe est cruciale pour la transformer en actes utiles, rapides et nécessaires.
Toujours dans le domaine médical, les questions de l'acharnement thérapeutique et de l'euthanasie ont été brièvement évoquées. De même que la question de la réanimation néonatale pour les prématurés de cinq mois : seul le médecin décide de réanimer ou pas, mais l'avis de toute l'équipe est sollicité, car la décision est psychologiquement difficile à assumer seul, et même si les protocoles existent, chaque acteur peut se sentir assailli par un sentiment de culpabilité.
Rédigé par Jean-Jacques Vollmer
22/01/2022
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