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  • Une trentaine de personnes ont participé à cette réunion, qui a été ouverte par Evelyne Berger, en présence de Cécile Trévian, directrice de la Médiathèque de Guyancourt,  d’Olivier Salon, membre de l’OULIPO, et de Jacques Fournier, directeur de la Maison de la Poésie de Saint Quentin en Yvelines.

    Evelyne Berger a rappelé que c’est la première fois de sa déjà longue existence que le Café-Débat se délocalise ainsi dans un lieu public qui ne soit pas un café, avec l’objectif de s’ouvrir encore plus à l’existant culturel de la Ville Nouvelle.

    Olivier Salon a souligné que l’écriture évoluait très vite aujourd’hui dans ses méthodes et ses supports, et que le plaisir d’écrire, loin de se cantonner aux affres du créateur aux prises avec la feuille blanche, s’accomplissait et se transmettait désormais de multiples façons, par exemple l’écriture à plusieurs, les blogs sur Internet, les ateliers d’écriture sur le web ou dans une salle,  reprenant là des idées déjà anciennes relatives à l’écriture sous contrainte forte, que l’OULIPO pratique depuis sa création en 1960 par François Le Lionnais et Raymond Queneau. Il rappelle aussi que le concept d’OU-LI-PO (OUvroir de LIttérature POtentielle) peut aussi se décliner pour la musique (OUMUPO), ou toute autre forme d’art.

    De son côté, Jacques Fournier a détaillé les nombreuses activités de la Maison de la Poésie depuis 2002, date de sa création. Elle se veut lieu de rencontres et d’échanges et, loin de se borner à des présentations et spectacles traditionnels, multiplie les manifestations hors de ses murs dans nombre de grands évènements tels que la Biennale de la poésie, le festival d’octobre, etc, afin de rendre la poésie présente partout et sous toutes ses formes.

    De la même façon, Cécile Trévian a indiqué que la Médiathèque avait des objectifs et des méthodes voisines : pouvoir dialoguer avec les enfants, les jeunes, entre les générations, avec des artistes et des auteurs, et susciter l’intérêt pour la littérature et la culture.

    Les interventions des participants, relayées par les intervenants, ont ensuite évoqué différents aspects du dialogue :

    *      La définition, d’abord. Elle a soulevé suffisamment de divergences pour qu’un participant interroge à chaud et en direct Wikipedia sur son i-phone afin de mettre tout le monde d’accord : « Le dialogue est une communication entre deux ou plusieurs personnes ou groupes de personnes visant à produire un accord. Il doit y avoir au minimum un émetteur et un récepteur. Une donnée émise, c'est le message. Un code, c'est la langue et/ou le jargon. Un objectif, c'est le but du message. Il se fait par signaux (auditifs ou visuels). »

    Inutile de dire que cette définition a soulevé beaucoup de contestations, allant de l’interrogation sur l’étymologie (di = deux, pourquoi ne pas dire « trialogue » quand trois personnes se parlent ?), jusqu’à la contestation de la nécessité d’avoir un objectif à atteindre quand on dialogue, ou de vouloir aboutir à un accord.

    *      Cette question de l’objectif ou de la finalité du dialogue est revenue plusieurs fois.

    o     Certains pensent que tout dialogue, quel qu’il soit, implique un objectif, même si celui-ci est inconscient ou minimaliste comme lorsqu’on se dit bonjour en passant. Quand on se parle, il y a la volonté de faire un pas vers l’autre, c’est un objectif sous-jacent, toujours présent. Et l’accord final, dans ce cas, est la simple reconnaissance de l’autre, de son existence.

    o     A l’opposé, d’autres pensent que la notion d’objectif implique une volonté consciente, et que le fait de se fixer un objectif diminue la valeur de l’échange : ce qui n’est pas voulu est souvent ce qu’il y a de plus riche quand on dialogue. Avoir un objectif et parvenir à un accord réduit le dialogue à une sorte de « commerce », comme par exemple dans le « dialogue social » ou chacune des deux parties fait des concessions pour aboutir à un compromis.

    *      Ce que n’est pas le dialogue (malgré quelques avis opposés) : ce n’est pas de la communication, de l’échange d’informations. Ce n’est pas vouloir convaincre, ni faire du prosélytisme, qu’il soit religieux ou politique. Ce n’est pas non plus une confrontation, une mise en concurrence, et certains ont fortement contesté le fait que les négociations syndicales soient un dialogue.

    *      Le point important, qui a été repris par beaucoup de participants, et qui a fait l’unanimité, c’est qu’on dialogue pour échanger, s’enrichir mutuellement. Le vrai dialogue nécessite une relation de confiance, une attention à l’autre, une écoute réciproque. Dialoguer, c’est essayer de comprendre l’autre, c’est apprendre à le connaître, c’est une rencontre, et c’est aussi approfondir la connaissance de soi-même au travers de l’autre. Un plus un, quand on dialogue, cela fait quelque chose de supérieur à 2. Un dialogue réussi implique une progression.

    Néanmoins, on ne dialogue pas de la même façon selon l’humeur du moment : on n’est pas toujours aussi réceptif, on a parfois plus envie de dire que d’écouter, et vice-versa. Il ne faut pas toujours se contraindre quand on dialogue, car on peut alors donner de soi une image fausse.

    On peut aussi dialoguer entre personnes de cultures et de langues différentes, ce qui montre bien que les mots et même le contenu ne sont pas toujours nécessaires pour que passe quelque chose.

    *      On ne dit pas les mêmes choses quand le dialogue se fait oralement ou par écrit. Quand on écrit, il n’y a pas d’interruption, l’oral est plus interactif. De même, lorsque les personnes sont en présence l’une de l’autre, tout le corps participe à l’expression, qui est alors aussi « kinétique ». Et aujourd’hui, d’autres formes d’échanges naissent, portées par la vague « Internet » : on s’injurie dans les forums, on tempère ce qu’on dit par des « smileys », on se parle par messagerie instantanée ou par courriels, on se fait des « amis » sur les réseaux sociaux et on se parle, parfois même intimement, sans jamais s’être vus ni se connaître. Toute cette technologie environnante rend d’ailleurs plus difficile le dialogue entre parents et enfants.

    *      Le dialogue se fait à différents niveaux : « quoi dire » (le contenu, le fond, les idées), comment le dire (la forme), pourquoi le dire (le besoin de s’exprimer, d’être écouté), à qui le dire (on ne dit pas les mêmes choses selon les interlocuteurs). Certains de ces niveaux peuvent être totalement absents : quand on dit « il fait beau » ou « Ca va ? », il n’y a pas de contenu, pas d’échange sur des idées, mais une simple attention à l’autre, la reconnaissance de son existence, et il y a quand même quelque chose qui s’échange. D’autres peuvent n’exister qu’à titre d’alibi : quelqu’un a cité sa participation régulière a des conversations relatives au football, alors qu’il ne porte aucun intérêt à ce sujet, uniquement pour s’intégrer dans un groupe.

    Ceci peut conduire certains à vouloir différencier le dialogue quotidien, ordinaire, du dialogue enrichissant.

    *      Le dialogue intérieur a aussi été évoqué : deux personnes en soi se parlent et essaient de se comprendre. Il faut, pour que cela soit possible, commencer par accepter l’existence d’un conscient et d’un subconscient, portant chacun des personnalités qui peuvent être très différentes. C’est accepter d’abord ce qu’on est, sans se valoriser. S’exprimer, c’est aussi dialoguer avec soi pour savoir ce qu’on va dire.

    *      On ne dialogue pas de la même façon selon qu’on exprime des idées ou des sensations, du ressenti, des émotions. Le dialogue, en philosophie, a été largement utilisé comme méthode de raisonnement, comme « maïeutique » pour faire accoucher les idées, à la manière de Platon dans la plupart de ses œuvres, ou de Rilke dans ses « Lettres à un jeune poète ».

    *      Une partie des échanges a porté aussi sur la poésie, à partir de la question : « Peut-on dialoguer autrement que par des mots et des idées ? »

    Beaucoup l’ont contesté : la musique, la poésie, la peinture, notamment, sont récusées en tant que dialogues : il y a l’auteur qui s’exprime, et les personnes qui écoutent ou regardent. Il y a communication, mais à sens unique : même si des résonances très fortes peuvent naître ainsi, il n’y a pas de dialogue à proprement parler. Il y a l’inspiration du créateur, et l’interprétation que chacun peut en faire.

    D’autres ont dit que écrire, ce n’est pas être tourné vers soi, on peut être citoyen et poète, comme l’ont été Aimé Césaire ou Edouard Glissant.

    Quelqu’un a demandé si la poésie moderne s’enrichissait du progrès des sciences, au même titre que la philosophie où, par exemple, la question du temps ne peut plus se discuter sans tenir compte de la théorie de la relativité.

    La réponse a été riche et variée : on a déjà évoqué les nouveaux supports du dialogue, notamment informatiques, qui peuvent aussi être utilisés par la poésie ; il peut naître de nouvelles images poétiques (en souriant, quelqu’un a proposé une nouvelle métaphore pour dire à une femme : « Vous êtes belle comme un cyclotron… ») ; l’OULIPO utilise beaucoup les mathématiques ou le hasard (souvenez-vous des « Cent mille milliards de poèmes » de Raymond Queneau). Mais ce qui est essentiel, c’est le regard de l’homme et l’expression de son ressenti : la nature, en soi, ne peut être « belle », ni poétique, s’il n’y a personne pour la regarder. Les poètes sont des « passeurs de mots », des veilleurs, des créateurs. L’étymologie du mot « poésie » n’est-elle pas d’ailleurs « l’acte de faire » ?

     

    Courte bibliographie :

    La sagesse des modernes                           Luc Ferry – André Comte-Sponville

    Cent mille milliards de poèmes                    Raymond Queneau

    Anthologie de l’OULIPO                                 chez Gallimard

    La disparition                                                 Georges Perec

    Catalogue d’objets introuvables                    Jacques Carelman

    Lettres à un jeune poète                                R.M.Rilke


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    "Crise économique ou crise écologique ?"

     

    Essai de chronique

     

    Bref résumé de l'exposé introductif

    La plupart de nos concitoyens sont persuadés que la crise – puisque crise il y a – est économique, financière et bancaire (la crise des subprimes). C'est une mauvaise analyse de la situation. Les gouvernements, dépassés, ont trouvé un bouc émissaire facile, les banquiers (sur d'autres sujets ce sont les jeunes qui sont incriminés). Sans avoir une sympathie particulière pour eux, il ne faut pas se tromper d'adversaire : ces personnes ne sont pas élues par nous pour prendre en charge l'intérêt général. Elles agissent dans le cadre des règles existantes, règles qui ne déterminent pas ce qui doit être fait, mais les limites des tricheries possibles.

    Il faut revenir aux faits. Lorsqu'on observe l'évolution du cours du pétrole ou celui des matières premières agricoles, on constate un grand parallélisme entre leur emballement et le déclanchement de la "crise". On peut poser l'hypothèse que ce n'est pas celle-ci qui est cause de leurs évolutions, mais que, au contraire, elle en est l'effet. C'est la rareté relative de ces biens, c'est-à-dire le décalage croissant entre l'offre et la demande de biens naturels qui provoque cette flambée des cours. Et, du fait notamment de la montée en puissance des économies des pays émergents, il n'y a aucune raison pour que cette tendance s'inverse : la perspective d'un baril de pétrole à 400 ou 500 dollars est réaliste à terme rapproché.

    Si cette hypothèse est bonne, c'est-à-dire si c'est la pression de la demande sur les ressources naturelles qui est la cause première, alors c'est la crise écologique qui provoque la crise économique et non l'inverse. Il est alors évident que le remède à la crise n'est pas le même.

    Ces observations sont confortées par l'analyse : dans notre monde, la création de richesses se fait au prix de la dégradation des ressources naturelles communes. Celles-ci n'ayant a priori aucun coût, il est économiquement logique de les utiliser sans limite et de les substituer quand faire se peut à d'autres ressources qui ont un coût, comme le travail : d'où, entre autres conséquences négatives, l'accroissement du chômage.

    La pêche en est une bonne illustration : avant d'être pêché le poisson ne vaut rien, mais la main d'œuvre coûte cher. Il n'y a donc aucune raison d'économiser ce qui ne vaut rien, d'où ce gaspillage inconsidéré (en moyenne 40 % du poisson est rejeté en mer, le gaspillage va jusqu'à 92 % pour les crevettes de Madagascar). Par contre on économise sur le travail, facteur de production coûteux, auquel on substitue du capital, grâce aux aides publiques : la croissance de la puissance installée de la flotte maritime est en correspondance avec la décroissance continue du nombre de marins (graphique). Par le jeu des aides et bonifications d'intérêt, le coût d'acquisition de nouveaux navires finit par être totalement remboursé.

    Gaspillage de ressources naturelles, envolée des prix des matières premières, augmentation du chômage, procèdent donc de la même logique. Est-il possible d'y remédier ? Oui, si l'on inverse la logique, en rendant plus coûteux les comportements jugés contraires à l'intérêt général et plus profitables ceux qui y sont conformes. En l'occurrence, en remplaçant les taxes sur le travail et l'outil de travail par des taxes sur les "consommations de nature". En plus des effets bénéfiques sur l'emploi et l'écologie, pareilles mesures généreraient plus de stabilité (ainsi un système social dont le financement serait assis sur de telles taxes serait plus stable que celui qui dépend des fluctuations du niveau de l'emploi). En appliquant ce système à la pêche on minimiserait les rejets et favoriserait l'emploi.

    Cela suppose donc que les pouvoirs publics définissent de nouvelles règles du jeu. L'exemple de la taxe carbone, imaginée en Suède en 1988, est symptomatique : elle fonctionne bien dans ce pays où elle atteint 110 € la tonne ; elle a échoué en France malgré le faible niveau prévu (17 €), du fait du "brouillage" provoqué par l'indécision politique et par la stratégie de superposition des mesures fiscales ("logique du mille feuilles"). Pourtant c'est du domaine du réalisable, à condition d'opérer une mutation complète de la logique fiscale : il ne s'agirait pas d'ajouter un système à un autre, mais de le lui substituer. Des études en cours tendent à le prouver, un jeu d'entreprise réalisé dans le cadre du Centre des Jeunes Dirigeants (CJD) a également permis de tester la faisabilité et l'intérêt technique et économique de ce changement de cap.

     

    Ouvrages recommandés

    Robert Barbault, Jacques Weber, La vie, quelle entreprise ! (Pour une révolution écologique de l'économie), Coll. Science ouverte, Le Seuil, 208 p., sept. 2010[1]

    Joseph E. Stiglitz, Le triomphe de la cupidité, Les liens qui libèrent, 520 p., 2010.

    Tim Jackson, Prospérité sans croissance (la transition vers une économie durable), De Boeck, 248 p., 2010.

     

     

    Débats (synthèse thématique)

    L'introduction de Jacques Weber a suscité de nombreux échanges prolongés qu'on peut regrouper en plusieurs thèmes.

    Les origines de la "crise"

    Cette analyse de la "crise", d'un point de vue écologique, est plutôt bien admise.  Pourtant, comme c'était prévisible, certains mettent l'accent sur d'autres facteurs explicatifs, insistant le plus souvent sur sa dimension économique : il faudrait modifier, dit-on, le titre du débat en remplaçant la conjonction "ou" ("Crise économique ou crise écologique ?") par "et". La crise, on en parle depuis une quarantaine d'années. L'accent est mis aussi sur les questions d'endettement (celui des États-Unis équivalant à 350 % du PIB de ce pays), sur la succession des chocs pétroliers et l'adaptation qu'elles ont induite, sur les difficultés de notre industrie sevrée de commandes, etc. La dimension écologique ne serait que la "goutte d'eau qui fait déborder le vase". Sont invoquées aussi les questions démographiques.

    Sur tous ces points, les réponses de Jacques Weber sont précises. D'abord, comment affirmer qu'on est en situation de crise ou pas, si on ne dispose pas de référence sur la situation de "non crise" ? Toutes les remarques précédentes sont pertinentes et ne sont pas en contradiction avec l'analyse par la crise écologique. Mais il importe de faire le bon diagnostic si l'on veut trouver la bonne thérapeutique et s'attaquer aux causes réelles du dysfonctionnement du système (à la variole et non aux boutons quelle provoque). Il est évident selon que l'origine de la crise est écologique ou économique, les solutions à mettre en œuvre différeront. Il faut donc se conformer aux faits et non à leur apparence, encore moins à une idéologie.

    Pour ce qui concerne la démographie, il faut savoir que nous approchons de l'état de transition démographique mondiale (la population du globe devrait se stabiliser à 9 ou 9,5 milliards d'individus) ; l'Afrique – contrairement à ce que certains affirment – voit sa production agricole augmenter plus rapidement que sa population.

     

    La mise en œuvre de la proposition

    Même s'ils sont séduits et convaincus par cette proposition, beaucoup s'interrogent.

    Il y a d'abord ceux qui s'inquiètent de la perspective de création d'une nouvelle taxe. Pourtant les choses sont claires : la taxe proposée ne viendra pas en complément, mais en substitution de celles qui existent actuellement, de sorte que l'opération peut se faire à périmètre fiscal constant. Plus sérieuse est l'inquiétude quant à sa faisabilité.

    1° D'abord, ne crée-t-elle pas de nouveaux problèmes, par exemple en modifiant, même à montant constant, la répartition et l'impact sur les assujettis (on cite l'exemple de tous ceux qui sont obligés d'utiliser un véhicule automobile pour travailler ou pour se rendre sur le lieu de leur travail ; les familles les plus modestes, pour qui par exemple le chauffage ou le transport tiennent une place relativement importante dans le budget, seront les premières pénalisées…). Cela est vrai, reconnait Jacques Weber, si on raisonne à système économique inchangé : l'adoption d'une telle mesure nécessite des remises en cause.

    2° Est-ce réaliste ? Comment concevoir la transition ? Est-ce possible si nous sommes les seuls à entreprendre une telle réforme ? On met en avant une des spécificités de la France, sa centralisation très poussée ; le poids des comportements individuels.

    3° Constatant que c'est généralement le fait d'être mis devant une situation d'urgence qui incite à l'action ou à de nouveaux comportements, certains se demandent s'il ne faut pas saisir l'opportunité de la crise du nucléaire pour progresser.

    Jacques Weber n'élude pas ces questions : "Si vous me demandez comment réaliser cet objectif, c'est que vous êtes déjà convaincus". Il ne s'agit pas pour lui de se substituer aux politiques, mais de porter un diagnostic sur la situation, de proposer un objectif et d'imaginer les alternatives possibles. Le rôle d'un chercheur s'arrête là : analyser, proposer, expliquer (importance des jeux d'entreprise comme ceux du CJE). L'important est de fixer la destination finale, l'échéance (à 20 ans, 30 ans ?), les moyens…

     

    - Et l'éthique dans tout cela ?

    Les propositions qui ont été présentées sont fondées sur des analyses techniques et économiques rigoureuses. Elles ne font pas intervenir de considérations morales. De même les solutions proposées reposent seulement sur l'incitation : incitation des agents économiques à adopter de nouveaux comportements dans leur propre intérêt. Pour faire en sorte que l'intérêt individuel coïncide avec l'intérêt général.

    Pourtant on ne peut s'empêcher de poser la question suivante : au nom de quoi ou de qui ces propositions sont-elles faites ? Au nom d'une hypothétique Nature qui aurait besoin que les humains changent leurs rapports avec elle ? Au nom des êtres humains d'aujourd'hui dont beaucoup n'ont pas du tout envie de changer leurs habitudes et qui ne seront qu'un épisode dans l'histoire de la Terre ? Au nom de ceux qui souffrent de la faim ou de l'exploitation ? Au nom des générations futures qui, de toute façon, n'attendent pas de nous qu'on leur dicte leur devenir ? Pourquoi ceux qui savent ont-ils la tentation de passer de leur rôle d'observateur à celui de prescripteur (voir le débat sur le réchauffement climatique) ?

    Jacques Weber récuse à juste titre cette présentation des faits. Certes son engagement personnel résulte de la prise de conscience des méfaits de la pauvreté (qu'il a bien connue en Afrique), de son engagement dans la vie civile[2] et de sa conviction de la nécessité d'un retour à l'éthique du partage. Mais son approche, exclusivement scientifique, se borne à l'aide à la formulation des problèmes. Le chercheur se pose la question : est-il possible de concevoir une autre organisation qui remédie aux dérives observées ? La réponse est : oui c'est possible et voici quelles pourraient en être les voies et moyens. Elle implique l'apprentissage de nouvelles relations avec la nature. Il appartient alors aux politiques de prendre leurs responsabilités.

     

    - Observations diverses

    Les principales autres observations ont porté sur la rareté (elle n'est pas à l'origine de la crise des subprimes, mais les subprimes ne sont pas la crise ; il faut réduire nos consommations : exemple de la journée sans viande), sur l'utilité ou non de normes internationales (mais 1° les normes sont faites pour être contournées, 2° elles permettent souvent des distorsions de concurrence légales pour les pays ou les groupes industriels et commerciaux qui ont la capacité financière et technique de proposer et d'imposer ces normes), sur l'incidence des prêts bonifiés (faute de pouvoir en faire la démonstration précise oralement, il y a parfois une certaine difficulté à faire admettre que l'achat de bateaux finit par être totalement remboursé à son acquéreur[3]), sur les échanges internationaux (il n'est pas anormal d'être déficitaires sur certains postes, même dans des secteurs comme l'agriculture où nous sommes exportateurs nets : l'analyse sectorielle de la  balance commerciale ne tient pas compte du jeu des spécialisations et des avantages comparatifs), sur la productivité du travail en France (c'est une des meilleures du monde, dix fois supérieure en moyenne à la productivité chinoise ; le système fiscal actuel la pénalise fortement, d'où l'intérêt de la proposition d'une autre assiette fiscale), sur l'incapacité des gouvernants à accepter des mesures indispensables (oui mais gouverner c'est surtout "prévoir le présent", selon le titre d'un livre d'Edgar Faure, un expert en la matière). Jacques Weber observe à ce propos qu'aucun parti en France n'est capable de dire aujourd'hui où il compte mener le pays. L'escalade de la surconsommation est aussi pointée du doigt en prenant l'exemple de l'industrie automobile : la demande des clients, poussée par le jeu de la concurrence entre constructeurs et la multiplication des normes de sécurité, mène à construire des véhicules de plus en plus équipés, de plus en plus puissants et donc de plus en plus lourds.

    On s'interroge également sur l'absence de "sens" qui caractérise la société contemporaine : la crise ne serait-elle pas d'abord une "crise de foi" ? Le sens qui devrait venir d'un processus de prise de conscience interne nous est communiqué de l'extérieur : on nous crée des besoins artificiels qui de facultatifs deviennent vite des besoins réels (automobile, téléphone), on privilégie le quantitatif au qualitatif, la consommation (qui en fait n'est que destruction, réduction d'une matière organisée en déchet déstructuré) à la conservation, etc. Une des explications de la crise serait-elle due au manque de confiance dans le système ? J. Weber, instruit par son engagement dans la vie civile, demeure optimiste sur le dynamisme, sur l'engagement de la jeunesse et son goût du partage. Il reconnait la part de stress qui imprègne la société contemporaine (contrairement à ce qui se dit, un taux de natalité important est compatible avec une inquiétude de l'avenir, tous les démographes le savent, c'est "l'effet rosier" : un rosier taillé donne des fleurs plus abondantes).

    Enfin, des solutions alternatives à la résolution de la crise tiennent à cœur à certains participants : taxation aux frontières, taxe sur les transactions financières, etc. Des questions, plus directement liées au contexte local sont également évoquées (projet de vélodrome, la curieuse relation à la nature que fournissent aux jeunes les parcours accrobranches…).

    Bref point de vue du rédacteur

    Le présent texte étant plus conçu comme une interprétation – avec toute la part de subjectivité voire d'approximations que cela implique – que comme un résumé, le rédacteur se permet d'apporter ici un point de vue un peu plus personnel.

    L'apport de Jacques Weber est positif à plus d'un titre. Il se situe dans la lignée de ces trop rares penseurs ou chercheurs qui, depuis vingt ou trente ans, ont mis en évidence les dysfonctionnements de la société contemporaine. Des voix peu écoutées, hélas, jusqu'à présent. Partant pourtant de prémisses différentes, ils en arrivent à une conclusion identique que l'on peut résumer par le titre du livre du regretté Jacques Robin : de gré ou de force on va "Changer d'ère" (1989). Si on ne se prépare pas à cette mutation en changeant notre regard et nos comportements, plus dur sera l'affrontement aux réalités du futur. Elle a aussi le grand mérite de montrer que, contrairement à ce qu'avancent certains (et qui souvent en arrange d'autres), la crise est globale et pas seulement réduite à un dysfonctionnement économique.

    Ce que propose Jacques Weber, pour radical qu'il soit, n'a rien de révolutionnaire : elle ne suppose pas un changement de régime politique, ni de système économique, elle ne devrait donc pas dans son principe rencontrer des oppositions partisanes ou idéologiques. Apparemment, elle ne nécessite même pas qu'elle soit adoptée par l'ensemble des États pour être mise en place.

    De ce point de vue on pense à l'analogie avec la TVA, invention française, qui, après une mise en application progressive dans notre pays (1954) s'est progressivement généralisée et imposée dans le monde entier. Il y a en effet une crainte, un argument fréquemment employé pour bloquer toute initiative nationale (même si elle est permise dans le cadre de l'UE ou de l'OMC) : "ce n'est pas possible si tout le monde ne le fait pas en même temps". On ne peut pas par exemple augmenter la taxation du capital sinon il s'enfuit[4].

    Certains, habitués au conformisme ambiant dont il est difficile de se départir, trouveront peut-être  J. Weber trop audacieux. D'autres par contre pourraient lui reprocher de ne pas assez loin dans l'analyse qu'il nous a présentée, dans la mesure où elle ne met pas en cause fondamentalement le système lui-même. Il est de fait que le néo-libéralisme marchand a montré, dans sa forme actuelle,  ses limites et son incapacité foncière à résoudre de façon satisfaisante les problèmes économiques actuels (pensons à l'agriculture et à l'alimentation). Un autre problème n'a pas été abordé, toujours sujet à de vives controverses, voire explosif, celui du statut de ces ressources naturelles que l'on veut préserver : le droit de propriété privée est-il compatible avec l'usage parcimonieux qu'on veut en faire ? Est-il possible de gérer efficacement des biens communs[5] ?

     

    Mais était-il possible de tout traiter en deux heures et demie ? Ce pourrait faire l'objet d'autres débats.

     

     


    [1] Ouvrage ayant reçu le sceptre d'or du développement durable, qui récompense l'ouvrage le plus convaincant paru au cours de l'année 2010. NDR

    [2] Jacques Weber est président de l'association des Petits Débrouillards, mouvement d'éducation populaire en faveur de la jeunesse. NDR

    [3] On pourrait aussi bien donner l'exemple de l'agriculture. Dans les années 60, le Crédit agricole avait le monopole de l’octroi de prêts très généreusement bonifiés par des concours de l’État, plus particulièrement au profit des jeunes agriculteurs. Ainsi les diverses caisses de CA distribuaient-elles généreusement des subsides aux JA, auxquels elles s’empressaient de proposer également de placer leurs liquidités en bons de caisse qui leur rapportaient un intérêt supérieur à celui qu’ils devaient débourser. Cette politique très libérale d’octrois de prêts n’a pas eu que des avantages pour les agris (formidable croissance de la production, mais aussi surinvestissement puis surendettement) pour l’économie agricole (développement de systèmes de production très intensifs à base de capital). D’ailleurs la Cour des Comptes a critiqué ce système qui aurait coûté 15 milliards d’euros depuis la première loi d’orientation agricole de 1961 et qui surtout était incontrôlé. NDR

    [4] C'est ce que les économistes et les spécialistes de la théorie de jeux appellent le "dilemme du prisonnier". Ainsi on ne peut pas renoncer à la course aux armements, car on ne sait pas si l'adversaire potentiel en fera autant. Et chacun perd à ce jeu non coopératif. NDR

    [5] La question a été rapidement évoquée dans le débat. JW a évoqué le nom d'Elisor Orstrom qui a reçu en 2009 le "prix Nobel" d'économie – première femme à recevoir ce prix – pour son analyse de la gouvernance économique des biens communs. Il n'a pas ajouté, par modestie, que c'est à lui que nous devons la venue de cette dame à Paris en juin prochain (le 22 juin à l'UNESCO). NDR


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  • A titre exceptionnel, la réunion du 26 mars 2011 ne s'est pas déroulée au Marina comme à l'accoutumée, mais à la Médiathèque Jean Rousselot à Guyancourt, où nous attendaient Cécile, sa directrice, ainsi que deux invités : Jacques Fournier, directeur de la Maison de la Poésie de Saint Quentin en Yvelines, et Olivier Salon, membre éminent de l'OULIPO (entre autres...), tout cela sous la houlette d'Evelyne Berger, éminente adhérente du Café-Débat et organisatrice de cette délocalisation.

    Si j'en ai le courage, je vous ferai bientôt un petit compte-rendu de ce qui s'est dit au cours de ces deux heures, mais en attendant, vous pouvez voir ci contre l'album photos de cette rencontre, copyright Jean-Paul...Nous étions environ une trentaine, à écouter, à parler, bref, à dialoguer...ou à essayer de le faire !


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