• Mon corps m'appartient-il ?

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    1
    soulat daniel
    Mardi 28 Janvier 2014 à 18:08

    Revenons à une définition du verbe appartenir: être la propriété de quelqu'un soit de fait, soit de droit.

    Si notre corps nous appartenait, le corps serait une chose comme une autre, nous pourrions le vendre, par exemple nous pourrions acheter des organes en cas de dysfonctionnement des nôtres. Nous pourrions faire commerce de notre sang ou de nos organes. Les femmes pourraient louer leur ventre pour une gestation pour autrui. Or en France et dans bon nombre de pays, tout cela est interdit par les lois bioéthiques qui régissent la société. Cela signifie donc, bien que notre corps nous appartient d'une façon particulière, que nous n'avons pas tous les droits sur lui.

    Le statut juridique du corps humain qui le concerne après la naissance, mais également dès la fécondation et après la mort est-il clairement établi aujourd'hui, sachant que le corps n'est pas un bien comme un autre ?

    Quant à l'euthanasie, je pense qu'il faut voir en premier lieu l'intérêt de celui qui souffre (en Suisse les personnes écrivent leurs vœux de leur vivant) et non son propre intérêt en tant que proche.

     

    2
    Pierre M;
    Mardi 4 Février 2014 à 23:28

    Mon corps m'appartient-il ? Ainsi présenté le sujet est perturbant puisqu'on y mêle trois niveaux d'explication : philosophique (le moi), physique (le corps), juridique (le droit de propriété). J'avoue que le débat de samedi ne m'a guère éclairé. Malgré toute la sympathie que j'éprouve pour celles et ceux qui militent pour ce slogan, je peine à répondre positivement à la question.

    D'abord qui est ce "Je" qui revendique cette propriété ? Présenté ainsi, il évoque une forme de dualisme cartésien dépassé : un Corps d'un coté, un Moi de l'autre (âme, esprit, pensée, ou autre). Avec une relation sous-entendue de subordination (j'ai un corps). À l'opposé d'une conception moniste (je suis un corps). Cela nous entraîne dans des débats philosophiques qui me dépassent et que, à mon sens, les différents auteurs ne font que compliquer. Quand par exemple Rimbaud écrit

    "Je est un autre" reprenant, volontairement ou non, la violente critique du cogito par Nietzsche, quand Paul Ricœur ("Soi-même comme un autre") distingue le soi et l'ego, l'ipséité, la mêmeté et l'altérité… on est tenté de penser que le débat porte surtout sur une question de langage. Pour ce qui est du corps proprement dit, J. P. Sartre y voit trois dimensions : pour-soi, pour-autrui et je ne sais plus quoi (ce n'est pas lui qui le dénomme ainsi, ce n'est là que le témoignage de mon oubli) ! Comment s'y retrouver ?

    L'approche scientifique peut-elle lever cette incertitude ? Bien au contraire les progrès de la biologie tendent à brouiller les lignes. À ce sujet on évoque souvent la révolution conceptuelle que sont en train d'apporter les neurobiosciences et les sciences cognitives. Mais elles ne sont pas seules : ainsi les avancées de l'immunologie montrent que le fait qu'un corps ne reconnaisse pas pour sien ses propres composants est bien plus fréquent qu'on l'imagine (voir maladies auto immunes). A contrario on sait depuis longtemps qu'il accepte des éléments étrangers (transfusion sanguine), ou même – plus récemment – qu'il  peut ne pas reconnaître l'attaque de pathogènes étrangers (exemple du staphylocoque doré). Mieux encore : les progrès phénoménaux de la physiologie végétale, nous montrent que des organismes sans système nerveux central (les plantes) peuvent distinguer le semblable du différent et qu'elles possèdent des systèmes de défense immunitaire très sophistiqués (notons d'ailleurs, sans en tirer des conséquences immédiates, que bon nombre de plantes, comme le maïs, ont un génome plus important que celui des humains). De quoi battre en brèche une idée qui a été défendue en séance : le lien entre la possession d'un cerveau et la prise de conscience du Soi. Faut-il en tirer des conclusions pour le sujet qui nous occupe ? Peut-être, mais avec prudence tant il est vrai que la science peut nous dire ce qui est, ce qui peut être, mais n'est pas qualifiée pour décréter ce qui devrait être.

    D'autant plus que l'avancée des techno-sciences en ce domaine ne laisse pas de nous inquiéter. D'un coté les progrès en matière de greffes d'organes risquent conduire à considérer les corps comme des réserves de pièces détachées, à l'image de ce qu'il en est dans le secteur de l'automobile. D'un autre, le développement des NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, information et cognition), en proposant le développement des performances humaines, porte les risques d'une réification de l'être humain. Celui des technocorps et de l'avènement d'une inquiétante post-humanité. Quelqu'un a rappelé en séance ce projet un peu fou – et sans doute heureusement  illusoire à si brève échéance – d'un milliardaire russe (initiative Avatar 2045).

    Alors du coté juridique ? Un corps humain est-il susceptible d'appropriation ? Notre droit civil issu du droit romain ne distingue que les personnes (non appropriables) et les choses (susceptibles d'appropriation). Il ne dit rien sur le corps humain. Pourtant il évolue, justement sous la pression des avancées de la science médicale : on a évoqué en séance la loi Leonetti, mais plus généralement on pourrait aussi faire référence au grand débat actuel sur la non-brevetabilité du vivant. L'enjeu est considérable dans une société où la marchandisation généralisée est certes un facteur de progrès mais aussi – et surtout peut-être – un vecteur de décadence. Dire que nous sommes propriétaire de notre corps signifierait qu'on peut lui appliquer les trois attributs du droit de propriété (usus, fructus, abusus) et donc en faire ce que l'on veut, dans le cadre des lois et règlements en vigueur. On peut donc s'attendre à ce que le droit positif évolue significativement en ce domaine. À noter par exemple qu'actuellement, sous la pression de certaines ligues de défenses des animaux, une forte pression s'exerce pour qu'on cesse de considérer ceux-ci comme des biens meubles, c'est-à-dire de simples choses appropriables (jusqu'où aller dans ce domaine : un chien, un chat familier pourquoi pas ? mais un cloporte ou un ténia ?).

    Voilà donc quelques raisons, brièvement résumées, qui font qu'il me semble difficile de répondre positivement à la question posée. Et, si l'on avait le moindre doute, il faut se référer aux situations vécues : plusieurs exemples ont été donnés en séance. Personnellement j'avais évoqué la guerre d'Algérie, les SDF expulsés de leurs squats, les sans papiers chartérisés menottes aux poignets : il est de fait que nous n'avons pas la libre disposition de nos propres corps. Les "sans", les exclus (souvent multi-exclus) encore moins que les autres. Dans les pays où l'IVG est proscrite, certaines, les mieux nanties, ont un peu plus que les autres la liberté de disposer de leur corps.

    Remarquons enfin que nos discussions sur ce thème se référent à un contexte bien particulier, celui de la société occidentale contemporaine et "normale". Il serait utile de prolonger cette réflexion dans des cadres plus "exotiques" : les mondes des civilisations "natives", comme l'on dit aujourd'hui, mondes où les relations entre les êtres et les choses, entre les différents êtres, sont d'une tout autre nature que chez nous (voir notamment les recherches anthropologiques de Philippe Descola) ; et l'univers où les individus vivent des états de conscience dite altérée, soit de façon pathologique, soit de façon volontaire (drogues, hallucinogènes, transes, soi-disant expériences extracorporelles…).

    Pierre Marsal (4/02/14)

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    Robert
    Mercredi 4 Novembre 2015 à 22:05

    Il me semble qu'il manque un prémice essentiel: chacun de nous fait le choix de vivre dans une société, avec des corps intermédiaires tels que la famille. Il s'agit plus ou moins d'un choix car notre sécurité et notre subsistance sont liés à l'appartenance à cette société - cependant par différents moyens nous restons plus ou moins libres, par exemple de vivre en ermite, de changer de société, de nous exiler. A partir du moment ou nous acceptons ce choix de vivre en société,nous renonçons à certains libertés. Et ce n'est pas forcément un mal - être exilé d'une société a longtemps été considéré comme une des pires punitions, qui pouvait conduire à la mort (penser à des environnements difficiles, inuits, déserts, sociétés paléolithiques...). Le paradoxe de la société occidentale moderne est qu'elle a développé à l’extrême le besoin de liberté individuelle au dépend des règles communes qui sont le ciment de la société - comportement qui devient graduellement auto destructeur au nom du "progrès". Toute bonne chose pouvant être toxique en excès, nous sommes en pleine crise (de foi :-) ) car nous atteignons un seuil de saturation: pour créer plus de liberté, en particulier pour les "franges", nous sommes en train de scarifier le ciment du "coeur".

    Des éléments stabilisants et servants d'ailleurs de filet de sécurité en cas de crise, tels que la famille, la religion, même les partis, sont attaqués de manière systématique au nom des "libertés".

    Quand à la liberté de disposer de son corps - intéressant luxe dans une société qui ne parvient pas à assurer un emploi à chacun, à éradiquer la pauvreté, à assurer la subsistance à ses seniors ou à assurer l'éducation de ses jeunes. ceux qui ont tout le temps de penser à ce sujet se posent ils les bonnes questions, avec les bons niveaux de priorités?

    Et si demain notre société est attaquée, de quelle résilience fera-t-elle preuve grâce à ces intéressantes questions?

      • Jeudi 5 Novembre 2015 à 10:00

        Bonjour Robert.

        Il me semble que tout ce que vous des liens homme-société ne manquait pas dans mon texte, et nous sommes sur ce point assez d'accord.

        Quand vous dites cependant que " liberté de disposer de son corps  (est] un intéressant luxe", je ne le pense pas. C'est une question qui se pose à tous, pauvres ou non, amateurs de luxe ou pas. De plus vous noircissez la société actuelle un peu trop à mon goût: où avez vous vu que les seniors n'ont rien à manger? que l'éducation n'est pas assurée (à ceux qui en veulent bien)? Pour ce qui est du chômage, faut il ne regarder que les 10 ou 15% de personnes qui n'ont pas de travail, ou bien les 85 ou 90% qui en ont un? La société sans chômage a existé: c'était le communisme, on a vu ce qui en est advenu...

        Cordialement.

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