• DES INTOLERABLES TOLERANCES

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    Pierre M.
    Mardi 5 Février 2019 à 00:03

    Qui pourrait contester les vertus de la tolérance ? Le bel exposé de Charlotte vient renforcer toute une tradition philosophique (Voltaire pour la France) et s’est traduite par de nombreuses prises de position internationales (Charte des Nations Unies, Déclaration universelle des droits de l'homme dans son article 25, Déclaration de principes sur la tolérance adoptée en 1995…).

    D’ailleurs pour qui s’est engagé (ou s’engagera) dans des mouvements anticoloniaux, antiracistes ou humanitaires, l’idée de tolérance va de soi. Pourtant on ne peut se départir d’une certaine gêne, car il y a dans ce terme une connotation dépréciative. Déjà Goethe, en1809, dans ses Maximes et Réflexions notait que « La tolérance ne devrait au fond être qu’une attitude provisoire, elle doit conduire à la reconnaissance. Tolérer, c’est injurieux. »

    Pour comprendre cette apparente contradiction il faut remonter dans le temps. Deux substantifs latins sont à l’origine de ce terme : tolerentia et/ou toleratio qui ont à peu près la même signification : capacité de supporter, endurance. Tolerentia explicitait l’endurance du légionnaire romain. Reprise par les stoïciens, puis par les Pères de l’Eglise comme étant la capacité de résister à la souffrance (sa patience). Pour Augustin au quatrième siècle, c’est la patience, la tolérance de Dieu devant la souffrance de constater que certains – en particulier les Juifs – résistent à son appel. Mais il inscrit cette tolérance dans le temps : elle ne sera pas éternelle. C’est Luther qui introduit le terme dans la langue allemande et le concept dans la théologie (source H. Wismann). Cette idée de limitation dans le temps donne une justification aux guerres de religion.

    Définissant donc tolérance (déf. plus ou moins personnelle) comme le fait de « s’abstenir de juger, de réprimander ou de réprimer une attitude ou une action qui nous paraît négative », on comprend le caractère ambigu de ce concept et ses relations avec les notions de Bien et de Mal.

    Dans une éthique des préceptes (telle que le Code d’Hammurabi ou les Dix Commandements) le partage est fait entre Bien et Mal, acceptable, tolérable, intolérable. Ces préceptes qui commandent les comportements peuvent différer dans l’espace et évoluer dans le temps. Avec l’éthique des principes comme celle de Kant, ce qui change c’est qu’on considère l’individu comme un être qui a la capacité de ne pas être commandé par autre chose que lui-même. Avec tout ce  que cela implique en matière de responsabilité individuelle. Alors les relations dépassent la problématique de la tolérance et se fondent sur le respect réciproque. Aujourd’hui la morale kantienne est dépassée par l’éthique de la discussion (Habermas) qui privilégie l’identification d’autrui comme sujet moral autonome à qui l’on doit reconnaissance.

    « Il faut que la tolérance, comprise comme souffrance et passivité douloureuse, se transforme en reconnaissance, en geste positif » (H. Wismann).

    En fait aujourd’hui ce qui prend le pas sur la tolérance ou la reconnaissance, c’est plutôt la gestion de la différence ou de la diversité.

    Le cas du foulard est particulièrement emblématique. Qui se souvient qu’il y quelques dizaines d’années, il eût été inconvenant (voire intolérable) de voir une femme sans coiffure à l’extérieur (« en cheveux ») et surtout dans une église. Sans porter un jugement sur cette situation qui obéit à des motivations diverses en ambiguës, on constate une inversion brutale des valeurs et une tendance au renversement des réactions d’intolérance.

    En définitive aujourd’hui ce qui importe c’est plus Reconnaître l’Autre que reconnaître le Mal comme il est écrit dans le texte introductif.

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