• Compte-rendu de la réunion du 12/09/2009 :

    Débat introduit par Marie-Odile Delcourt, le 12 septembre 2009


    Synthèse des discussions


    Le compte rendu qui suit n’est pas chronologique mais tente de rassembler les discussions de façon thématique. Rédigé par Pierre Marsal, il a été légèrement revu par Marie-Odile Delcourt.


    La construction des valeurs


    La question de l’universalité des valeurs, dépend en premier lieu de la réponse donnée à une autre question, celle du fondement des valeurs. Deux thèses s’opposent, celle du théisme et celle du naturalisme.


    1. Dieu est le fondement de toute valeur.

    A l’appui de cette thèse on fait remarquer que s’il en était autrement l’humanité vivrait dans la plus complète incertitude : tout régime politique pourrait à sa guise remplacer ces valeurs, toute guerre pourrait les détruire. C’est le fait qu’il existe une autorité supérieure à celle des plus grands monarques qui assure leur pérennité. Autrement on ne pourrait pas parler de valeurs, mais seulement de préférences. Ces valeurs existent donc de tout temps, mais, l’histoire de l’humanité n’étant pas linéaire, elles ont pu être occultées à certains moments par des Etats ou par des religions établies. Ainsi les idées de liberté ou d’égalité ne sont pas récentes. Il a fallu le choc de certains événements historiques pour qu’elles se réactualisent. Ce fut le cas par exemple avec la Déclaration d’indépendance américaine du 4 juillet 1776.

    Plus précisément, certains intervenants sont convaincus que les valeurs des Lumières sont d’essence judéo-chrétiennes et qu’elles sont présentes dans les Evangiles (notamment chez Paul). Mais ce serait sous la pression de la société que l’Eglise et les Etats ont dû revenir aux valeurs qui avaient été oubliées. En tout état de cause, l’essentiel des valeurs actuelles est présent dans le christianisme. Tout en s’estimant en accord ou à l’aise avec les valeurs chrétiennes, d’autres intervenants estiment que c’est au contraire à la montée de l’athéisme au XVIIIe siècle et , plus récemment, à l’émergence de l’idée de laïcité, que l’on doit cette évolution. Mais tous admettent qu’on peut respecter les mêmes valeurs qu’on croie ou non à Dieu.

    Cette thèse inciterait à trancher en faveur de la pérennité et de l’universalité des valeurs, si certains n’y ajoutaient pas quelques nuances. C’est d’abord l’idée que les valeurs se forgent tout au long de l’histoire et que chaque civilisation a généré ses propres valeurs. C’est également l’idée qu’elles continuent à se construire au rythme de l’évolution de la conscience humaine, notamment par le développement de la culture et les progrès de l’éducation. Découvrir, faire émerger  et développer des valeurs est une activité proprement humaine. Ces quelques restrictions apportées à la première thèse la rapprochent de la thèse naturaliste.


    2. La construction d’un système de valeurs est inhérente à l’être humain

    Parmi les valeurs plusieurs fois citées lors de cette séance se trouvent la solidarité et la liberté. La liberté est une donnée de départ, une des spécificités de l’être vivant. Pour éviter qu’elle ne soit dangereuse, l’animal peut compter sur son instinct. L’homme doit se donner des règles de comportement, en principe dérivées des valeurs. Les hommes et les institutions doivent s’efforcer de respecter ces règles pour assurer leur survie en tant qu’individus ou civilisations. Elles constituent les fondements de la conscience morale.

    Cette conscience morale a pris des formes qui ont évolué dans le temps, prenant initialement la forme de préceptes (Les Dix Commandements) : "tu ne tueras point"… C’étaient là des impératifs à prétention universelle, mais qui pouvaient présenter des variantes d’une société à une autre. A cette morale des préceptes a succédé une morale des principes : à partir d’un principe général on déduit des règles de comportement. Ainsi l’idée du juste milieu d’Aristote, l’idée que la valeur morale est liée à l’augmentation de l’utilité générale (utilitarisme anglo-saxon), le principe de l’autonomie de la volonté (l’impératif catégorique de Kant). Le défaut de ces approches qui se voulaient universelles est qu’elles définissent ce qu’est une personne morale, mais ne dit rien de concret sur ce que cette personne doit faire Au XXe se sont construits d’autres systèmes qui, renonçant à l’universalisme, décrivent de façon plus positive les différentes valeurs mises en jeu : éthique matérielle (Max Scheler), éthique de responsabilité (Max Weber), éthique de la discussion (Habermas)… Cette brève énumération n’est là que pour montrer que la thèse de l’universalité des valeurs est rien moins qu’évidente.

    Dans ce contexte, la déclaration des Droits de l’Homme, fondée d’abord sur la dignité humaine, est un exemple de la morale des principes d’inspiration européenne. Le principe de précaution est un exemple de morale matérielle se fondant également sur diverses valeurs, notamment celle du respect de la vie humaine.

     

     Les valeurs, leur évolution, leur transmission et leurs usages


    - Les valeurs essentielles


    Une partie du débat a consisté en l’examen d’un certain nombre de valeurs essentielles, des possibilités qu’elles ouvrent mais aussi des interdits qu’elles génèrent. Sont citées : la liberté, l’égalité qui serait une très ancienne aspiration, la solidarité qui a dû apparaître aux tout débuts de l’humanité et que l’on retrouve aussi chez certaines espèces animales, le respect de la vie, l’honnêteté, l’amour, les droits de l’homme, l’humanisme, le respect d’autrui… On évoque aussi l’art, sans trop insister dans la mesure où l’on veut se focaliser sur les valeurs morales. D’autres posent problème, comme ce concept d’efficacité, qui peut conduire à de graves dérives ainsi que le montre l’actualité (par exemple les suicides répétés de personnels d’une grande entreprise de télécommunication ou les profits boursiers). Les avis sont plus nuancés pour ce qui concerne la tolérance : c’est certainement une vertu à développer, mais elle n’est pas sans ambiguïté (c’est Luther qui le premier a utilisé ce terme d’origine latine dans une acception plutôt dépréciative[1]). Enfin il est fait état de l’existence de "fausses valeurs". Mais existent-elles et, dans l’affirmative, quelles sont-elles ? Le débat n’a pas permis de trancher.

    Devant la multiplicité de ces valeurs se pose la question – irrésolue – de leur hiérarchisation et de leur compatibilité : ainsi l’interdiction de porter atteinte à la vie humaine peut être transgressée en certaines circonstances (guerres, maintien de l’ordre, auto-défense). On se demande aussi si la revendication de valeurs n’est pas une justification a posteriori de pratiques ou de politiques plus ou moins douteuses ou condamnables (voir la justification de la colonisation ou de la "libération" des peuples). A ce propos certains se demandent si les valeurs précédent toujours l’action ou si elles ne sont pas parfois un habillage positif donné à des actions contestables.


     - Evolution et transmission des valeurs

    Directement liées au niveau de conscience des individus et des groupes humains, en toute hypothèse (théiste ou naturaliste), les valeurs évoluent peu à peu, avec des points d’émergence, et se transmettent en fonction du niveau de conscience de ceux-ci. On insiste donc sur l’importance de l’éducation, de l’exemplarité… Le rôle ambivalent des médias est souligné : certains espèrent notamment que la diffusion planétaire d’un certain nombre de messages portés par les médias modernes puisse faire progresser l’adhésion à des valeurs que nous tenons pour essentielles. Réalité ou illusion ? En tout cas, pour beaucoup, il est à souhaiter que les valeurs ne soient pas figées et qu’elles soient encore à inventer.

    Il est évident que les peuples dominants, même pacifiquement, ont plus de facilité à transmettre leurs valeurs, qu’elles soient pertinentes ou non. Se pose également la question des relations entre valeurs et droit positif : on constate, en le regrettant un peu, que d’une façon générale la loi prime la morale. Pour demeurer centrés sur la question posée, on ne fait que mentionner le rôle de la politique dans la construction et la transmission des systèmes de valeur. De même on évacue un peu rapidement l’examen des analogies entre lois physiques et valeurs morales, au motif que celles-ci sont davantage du ressort de la biologie ou de la sociologie.

    Enfin chacun s’accorde à penser qu’il y a loin des principes à leur application. Les valeurs sont belles, leur application est souvent "affreuse". C’est donc au niveau de leur mise en œuvre qu’il faut exercer notre vigilance, face aux individus concrets qui sont en cause. Il est possible de détourner les valeurs et d’en faire des instruments de domination.


    Les valeurs sont-elles universelles ?

    Au terme de cette discussion la question demeure ouverte. La conviction de chacun repose sur des présupposés. Ainsi fait-on valoir que si Dieu existe la réponse est simple, mais que s’il n’existe pas tout semble plus compliqué. C’est une opinion parmi d’autres. Néanmoins chacun s’accorde à souligner le rôle primordial de la conscience humaine et de son évolution : les valeurs évoluent-elles dans le temps et dans l’espace ou bien est-ce la conscience que l’on a de valeurs transcendantes qui fluctue ?

    En tout cas deux faits semblent établis : nous n’avons pas les mêmes références que nos ancêtres, et nous autres occidentaux n’avons pas les mêmes hiérarchies de valeur que ceux qui vivent en Orient. L’exemple des Droits de l’Homme est flagrant : pour les certains orientaux (les Chinois par exemple) cette approche n’est pas recevable, car leurs valeurs reposent sur une autre conception, le primat du collectif sur l’individu (le collectif a plus de valeur que l’individu car le collectif promeut l’individu). Evidemment cela nous scandalise. Mais l’Occident a vécu des temps semblables. Et ne sont-ils pas eux-mêmes scandalisés par les conséquences qu’a chez nous le développement de la morale individuelle, notamment la désagrégation des solidarités interpersonnelles (voir la façon peu élégante qui nous conduit à envoyer nos "vieux" dans des mouroirs) ?

    Une idée semble dominer l’assemblée. On peut probablement la résumer ainsi : si – pour des raisons qui supportent diverses explications selon notre sensibilité morale ou religieuse – il n’y a pas de réelle universalité des valeurs, on devrait tendre vers un consensus sur un certain nombre d’entre elles, essentielles à la survie de l’humanité, tout en respectant celles qui ne font pas partie de notre culture. L’éducation et la communication entre humains devraient faciliter cet objectif.



    [1] Vérification faite, je peux préciser qu’effectivement pour Luther ce mot exprimait la souffrance de Dieu de voir des païens non encore convertis. Comme toute souffrance elle ne doit pas s’éterniser. Source : Heinz Wismann, qui souhaiterait qu’on lui substitue la reconnaissance de l’altérité. (NdR)


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