• Comment vivre sans pétrole ?

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    Pierre Marsal
    Mardi 17 Juillet 2012 à 09:22

    Ces lignes constituent un essai de remise en forme de certaines des réflexions que j’ai formulées au cours de cet intéressant débat. Peut-on vivre sans pétrole ? Bien obligés, est la première réponse qui vient à l’esprit. En fait, pour tenter d’y voir clair, avant de répondre au "comment faire face", il faut se demander pourquoi et comment nous sommes dans cette situation.

    - Pourquoi en sommes-nous arrivés à poser cette question ? Consommer de l’énergie, et donc du pétrole, est le meilleur moyen trouvé par l’homme pour maîtriser le temps et l’espace : pour sortir de son village, pour aller plus vite et plus loin, pour vivre plus longtemps (grâce à une alimentation et des soins plus coûteux en énergie). En fait, sur bien des points, c’est illusoire. Un exemple : Yvan Illich et Jean-Pierre Dupuy ont montré que, paradoxalement, la vitesse ralentit l’homme : la "vitesse généralisée" d’une automobile, c’est-à-dire la vitesse calculée en ajoutant au temps réel de parcours le temps qu’il a fallu pour avoir les moyens d’acheter la voiture, de l’entretenir et de payer son carburant, est de l’ordre de 7 km à l’heure. Moins qu’un vélo !

    - Comment nous en sommes arrivés là ? Alors que nos ancêtres vivaient des rentes du patrimoine que leur offrait la nature (exemple : la fameuse "gestion en bon père de famille" qui est un des fondements du Code Civil français), nous en sommes venus à "manger" ce patrimoine. Que le pic du pétrole soit dans 20 ou 30 ans, celui du gaz dans 50, du charbon dans 80 ou 100, qu’importe : on aura consommé en un laps de temps extrêmement bref au regard de l’histoire de l’humanité, ce que la nature a mis des millénaires à constituer. C’est ce que reprochait Heidegger à la technique moderne qui fait passer du stade de la pro-duction à celui de la pro-vocation : pro-vocation par laquelle la nature est mise en demeure de nous livrer plus d’énergie que ce qu’elle serait capable de nous offrir spontanément.

    - Quelques vérités à rappeler. 1° On peut considérer que l’acte de production consiste à organiser un bien (la matière en particulier) de façon à lui conférer une utilité supérieure (on organise des molécules de C, H, N, O… pour produire des aliments). Consommer ne détruit pas le bien (rien ne se perd), il le transforme en un bien d’utilité inférieure, un déchet le plus souvent : la civilisation de consommation est d’abord la civilisation du déchet. Il en va de même pour le pétrole : plus on en consomme, plus on produit de déchet (CO2 principalement). 2° La transformation de la matière en énergie, c’est une dégradation de celle-ci, c’est l’opération le plus brutale, la moins réversible et celle qui a le rendement le plus médiocre. Brûlerait-on du diamant pour se chauffer ? Pourquoi utiliser une matière aussi précieuse et, à terme, aussi rare que le pétrole pour le brûler ? Il y a des usages beaucoup plus nobles possibles (matériaux, médicaments, etc.). Le problème que nous a bien expliqué Jean-Jacques est que le pétrole est actuellement indispensable pour les transports (en tout cas pour le transport aérien). Alors ?

    - Comment vivre sans pétrole ? Une certitude : un jour ou l’autre il faudra s’en passer. On peut seulement proposer des mesures de retardement de cette échéance, mesures palliatives qui pourtant nécessitent de considérables efforts. On a cité quelques pistes en réunion : l’alimentation carnée (il faut entre 4 et 10 calories végétales pour produire 1 calorie animale), les matériaux (l’aluminium est au moins 1000 fois plus gourmand en énergie que le bois), etc. Même à un rythme ralenti, on continuera à consommer l’héritage de nos descendants. Et on se donne bonne conscience en pariant sur l’intelligence de l’homme et les bienfaits de la science, comme si l’on espérait qu’un heureux tirage du loto compense un jour la dilapidation excessive que nous faisons de nos deniers.

    - Science et gouvernance. D’accord avec Benoît : il ne faut pas désespérer du génie humain et je me tirerais une balle dans le pied si je critiquais la science. Mais il faut voir ce que cela implique. L’énergie de la fusion ? Si ça marche, ce qui n’est pas encore sûr, je ne vois pas comment on pourrait passer à l’exploitation avant la fin du siècle, je ne vois pas non plus comment mettre un tokamak dans les réservoirs de nos voitures ! Et même si cela réussi, ITER, comme les grandioses projets de captage et de transfert (micro-ondes ou lasers) de l’énergie solaire dans l’espace, qui ne peut imaginer l’impact que ce mode de production pourrait avoir sur l’organisation de la société.

    - Quels lendemains ? On emploie à tout bout de champ le mot "crise" et les articles, conférences, débats qui y sont consacrés battent son plein. La vraie crise est celle que révèle, entre autres signaux, cette perspective énergétique.  Ignacy Sachs, le "père" de l’écodéveloppement (ancêtre du développement durable) ne cesse de répéter que nous entrons dans la troisième grande transition dans la longue coévolution de l’espèce humaine et de la biosphère (pour les 2 premières : domestication des espèces et urbanisation il y a 12 000 ans, industrialisation à la fin du XVIIe siècle), celle où il faudra trouver des alternatives à l’utilisation des ressources énergétiques (même l’uranium va manquer). Alors retour aux temps "barbares" ou nouveau modèle de civilisation ? Et comment se fera la transition ? Par le jeu du marché (les ressources rares attribuées aux plus riches et aux plus puissants) ? par un renforcement de la gouvernance politique (rationnement, planification) ? Il est hors de doute que nous vivons l’amorce d’une tout autre société, société dont on peine à percevoir ce qu’elle pourrait être : meilleure, pire ? Il me semble que les citoyens que nous sommes ont le droit d’être alertés et le devoir de prendre parti.

    - Et pour finir (conseils de re-lecture). 1. "Ravage", écrit par Barjavel dans les années 40 (l’électricité disparaît, le monde revient à la préhistoire) ; 2. "Effondrement : comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie" de Diamond Jared en 2005 (le titre veut tout dire).

    Pierre (30/11/09)

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