• Introduction de Jean-Paul Knorr

    (Voir texte)

    Introduction de Louis Adam (essai de résumé)

    Louis Adam se présente comme un expert comptable, adhérent à ATTAC, qui a travaillé en banque de 1989 à 2000, notamment sur les méthodes de mesure des risques encourus par les marchés (risques en banque et risques hors banque). Il observe à ce propos que, durant cette période, les procédures ont bien changé, en particulier pour ce qu'on appelait l'encadrement du crédit.


    Cette crise comporte plusieurs aspects, économiques et politiques (les politiques, se croyant chacun plus"malin" que l'autre, ont contribué à son déclenchement). Il faut s'interroger sur son origine et sur son évolution possible.


    Première observation à retenir : nous sommes plongés au cœur d'un système économique particulier, où l'objectif principal consiste à essayer de "faire le plus d'argent" possible. Mais chaque crise a des causes particulières : jadis, résultant par exemple de causes matérielles comme les famines, elles étaient moins impliquées avec des processus sociaux. Plus récemment, au moins depuis les Reagan, Thatcher et même Delors, constat ayant été fait de l'insuffisance des investissements, ont été mises en place des "politiques de l'offre" destinées à relancer ceux-ci, au prix de révision à la baisse des normes sociales. Aussi, contrairement à ce que laisseraient penser certaines présentations, l'examen des résultats de la Centrale de Bilans de la Banque de France montre que la part des salaires dans la valeur ajoutée nationale a diminué[1] ; et, dans le poste rémunération du travail, la part des hauts revenus s'accroît.


    Aux Etats-Unis existe une "industrie du crédit" qui n'a pas son pareil en France. L'endettement US est de l'ordre de 100 % du PIB (contre 46 chez nous). L'endettement des ménages américains porte sur trois postes : la maison, l'automobile et l'éducation[2]. Dans une perspective normale, les crédits étant remboursés, le patrimoine des ménages ne peut que croître. C'est pour faire participer les ménages les plus modestes à ce processus, en acquérant leur logement, que le système des subprimes avait été imaginé. Les subprimes (subprime mortgage) sont des crédits évidemment à risque qui ont donc un taux d'intérêt, variable, plus élevé pour les emprunteurs et qui sont garantis par hypothèque (mortgage) : ce taux élevé est justifié par la prise en considération du risque et de la durée (prêts à long terme). Leur montage complexe permettait de proposer des taux assez bas en début de crédit, leur rentabilité étant fondée sur la perspective de hausse des prix de l'immobilier. Les critères d'attribution étaient risqués (conditions maximales : ne pas dépasser 55 % du revenu, 85 % de la valeur du bien).


    La crise est venue d'une conjonction de l'accroissement simultané des besoins de financement et de la recherche d'une forte rentabilité[3]. Un facteur d'aggravation vient de la confusion des rôles entre banques de dépôts et banques d'affaires, qui recherchent de forts taux de rentabilité (le principe de leur séparation qui avait été posé en 1933 a été abrogé). Pour gérer à la fois la rentabilité et le risque des subprimes, les banques ont créé de nouveaux produits, notamment la titrisation des créances qui permettait d'augmenter la liquidité de leurs avoirs, de diluer les risques et de les reporter sur d'autres investisseurs. Cette dilution peut aller jusqu'à plusieurs niveaux (6 ou 7). D'autres produits de même nature ont été créés qui tiennent compte des spécificités du crédit hypothécaire américain : ABS (asset-backed security) notamment. Pour compléter ce dispositif de protection contre le risque, d'autres formes d'assurance ont vu le jour : par exemple les "rehausseurs de crédit" (monolines), les CDS (Credit default swaps), qui sont en grande partie responsables de la crise actuelle. En effet, à force de se défausser, on crée un effet cumulatif et, paradoxalement, plus on prend de garanties plus on multiplie les causes de dysfonctionnement.


    Pourquoi les états sont-ils intervenus ? Quand une entreprise se "casse la figure" le choc peut être brutal, mais les effets induits s'atténuent avec le temps. Pour les banques c'est l'inverse : les banques se prêtent entre elles et la faillite de l'une d'elles peut se répercuter sur les autres. Actuellement l'ensemble du système bancaire est touché. On ne peut pas le laisser s'écrouler. Ainsi la banque J. P. Morgan détiendrait pour 92 milliards de dollars de produits dérivés pour un actif de 1,2 milliards[4].


    Où va la crise ? Ou bien elle dégénère ou bien il sera possible de rebondir. Tout va dépendre maintenant d'éléments politiques. D'un point de vue technique, des corrections et de aménagements sont possibles : par exemple en interdisant des titrisations à plus de 2 ou 3 niveaux, ou bien en réservant la titrisation à l'objectif de l'augmentation des liquidités et en interdisant celui de la prévention contre le risque. Il faudrait aussi revenir aux leçons tirées de la crise de 29, par exemple en séparant à nouveau banques de dépôts et banques d'investissement. Le système n'est pas dépourvu de garde-fous : en principe une banque doit déposer 8 % de fonds propres en face de ses engagements de crédit, mais ce système ne fonctionne pas en cas de crise aigue comme en ce moment.


    D'autres réflexions seront livrées en cours de débat.


    Débats (brève synthèse thématique)


    - Exposé écrit de Claude.

    Le texte de Claude figurera en tant que commentaire à ce compte-rendu

     

    Parmi les idées exposées : les causes premières de la crise ne sont ni économiques, ni financières mais humaines.


    - Echanges verbaux : questions, réponses

    1.      Crise et capitalisme : quelles responsabilités ?

    Pour l'orateur cette crise est inhérente à un système, fondé sur un mécanisme de destruction : c'est une crise classique d'un processus d'accumulation capitaliste. Dans l'assistance les avis sont partagés entre ceux qui estiment que la faute en revient aux hommes et ceux qui pensent que c'est une crise systémique[5]. Pour les uns, il faut sanctionner les coupables pour "purger" le système. Pour les autres, ce sont le système lui-même et les structures qu'il génère qui en sont responsables : la preuve en est que les "bulles" succèdent aux "bulles" (la dernière étant celle de 2002 sur les technologies de l'information) et que, en dépit des leçons accumulées, aucun progrès n'a été accompli dans la maîtrise de ces errances. Bien au contraire, les crises interviennent à intervalles de plus en plus rapprochés et sont de plus en plus graves. Même si l'on sort de cette crise, il est inévitable qu'une autre lui succède. On fait même observer que la crise est inhérente au système : la "bulle" accompagne nécessairement la croissance (fuite en avant par le gonflement des créances dont certaines sont inévitablement douteuses, même en situation "normale"). Cela dépasse donc le cadre de la seule analyse économique et financière.


    Et les comptables, quelles sont leurs responsabilités ? L'application des normes IFRS (International Financial Reporting Standards) depuis 2005 aux entreprises cotées, en les obligeant à évaluer actif et passif à leur "juste valeur" (fair value), n'a-t-elle pas eu une part de responsabilité dans l'impact économique de la crise, en augmentant la volatilité des comptes des entreprises ? Probablement : on est passé de normes comptables à des normes financières, permettant à l'investisseur de connaître à tout moment la valeur de l'entreprise ;  ce qui n'a rien à voir avec la réalité du processus productif. En dehors même de la mise en œuvre de ces nouvelles normes, la comptabilité d'entreprise n'est pas neutre : on évoque la saga des quatre frères Willot dans les années quatre-vingt, l'incidence en temps de crise des règles de prudence qui font qu'on ne traite pas de façon symétrique les fluctuations (provisions, comptabilisées pour dépréciation d'un côté ; plus-values latentes non comptabilisées de l'autre), l'impact des opérations "hors-bilan"...


    Autres mises en accusation : le système des ventes à découvert (mais  L. Adam fait remarquer que ce dernier système est tout à fait justifiable dans le cas par exemple de matières premières pour lesquelles, comme c'est le cas des grands produits agricoles, il n'y a pas coïncidence dans le temps entre leur production et les besoins) ; le système des taux variables (c'est un système pro-cyclique dans la mesure où la partie variable des taux d'intérêt, s'accroissant quand le risque augmente, aggrave la situation de risque) ; le système des bonus (calculés de façon unilatérale, toujours en plus, jamais en moins)


    2.      Crise et régulation : comment sortir de la crise ?

    Mais d'abord quelles perspectives ? On évoque le risque de cessation de paiements du Royaume Uni, la dévaluation de la monnaie américaine (dévaluation par rapport à quoi ? on devrait plutôt parler, je pense, de dépréciation). Le sort des pays du Tiers Monde, dont on a peu parlé, est encore moins enviable : ils vont être les plus graves victimes de la crise. La permanence du déficit et de la dette américaine[6] est un vrai brûlot : c'est la Chine et l'Asie du Sud-Est qui financent en grande partie son économie. Cela durera-t-il ? Pour l'instant le taux des Bons du Trésor américain, qui représenteraient 10 à 15 % de leur finance nationale, est garanti. Et des pays comme la Chine n'ont pas intérêt, en s'en débarrassant, à précipiter leur dévalorisation.


    La nécessité de réguler le système ne fait aucun doute (réguler la mondialisation, réguler la répartition des revenus, revenir au keynésianisme...). Mais, au delà de cette déclaration de principe, peu de solutions concrètes sont proposées. On préconise par exemple le retour aux principes de la Charte de La Havane[7]. On préconise aussi la mise en application de la taxe Tobin[8].


    Une controverse s'élève à propos des mesures de relance : faut-il pratiquer une politique de l'offre ou relancer par la demande, c'est-à-dire par le pouvoir d'achat ? Louis Adam, pour sa part, distingue la politique d'investissement qui peut s'avérer nécessaire si l'appareil de production n'a pas de capacités suffisantes et la politique de l'offre qui s'opère au prix d'une dégradation des normes de travail, car il est vrai qu'on favorise l'investissement en concentrant les richesses.. Le droit du travail a été conçu pour sortir du contrat de louage (voir l'accablant rapport du docteur Villermé au milieu du XVIIIe siècle), pour distinguer l'homme de la brouette.


    On craint qu'une politique qui favorise la demande ne bénéficie en fin de compte qu'aux Chinois (façon un peu ramassée d'illustrer les risques de recours massif aux importations de pays tiers) : à l'image de ce qui s'est passé en 81-82, le pouvoir d'achat injecté supplémentaire se reportant prioritairement sur des produits importés ("effet magnétoscopes japonais"). Cet argument ne tient pas : la part de la consommation importée serait inférieure à 15 %[9]


    3.      Crise et emploi

    Si on tient compte de l'augmentation de la productivité du travail, un point de croissance en moins créerait 600 000 chômeurs en plus[10]. Cette importante question n'a pas été davantage développée.


    4.      Questions diverses


    Certains faits étonnent et interrogent : comment se fait-il qu'une initiative, a priori à visées sociales (procurer des logements à des Américains peu fortunés), débouche sur une catastrophe pour ces individus ? Comment se fait-il que les habituelles règles prudentielles de la Bourse n'aient pas été retenues ? Que gagnent les créanciers à confisquer des immeubles invendables ? N'y aurait-il pas une solution permettant aux banques et aux anciens propriétaires de trouver un compromis conciliant les intérêts de chacun ? Comment est-il possible de proposer des rendements de 12 % et plus (20 %) quand le taux de rentabilité moyen d'un investissement est de l'ordre de 2 % ?  Réponse : c'est simple avec des OAT à 10 %, plus prime de risque à 2 %, plus prime de ? à 2 % (pas sûr d'avoir bien compris : il faut remonter à 20 ans pour avoir des taux d'intérêt à deux chiffres).

     

    D'autres interrogations se manifestent : pourquoi y a t-il toujours des "actifs toxiques" et pourquoi ne peut-on pas les évacuer (élément de réponse : les banques n'appliquent pas systématiquement les normes relatives à la "juste valeur") ? Comment concevoir dans ces conditions de crise un nouveau système d'assistance ? Comment sortir de la crise dans la problématique du Développement durable ? A qui va le produit des intérêts de ceux qui prêtent à l'Etat (réponse : aux prêteurs bien sûr : la crise n'est pas néfaste pour tout le monde) ? N'y a-t-il pas déresponsabilisation aux différents niveaux des circuits économiques et financiers (réponse : c'est évident, on détourne l'attention, en ce moment par exemple sur les traders) ?

    Pierre Marsal

     

     


    [1] NDR : je n'ai pas noté tous les chiffres présentés, mais une étude de l'OFCE (date ?) indiquait que sur la période 1981-2000 la part des salaires bruts dans la VA a diminué de 6,6 points. Il y a probablement des données plus récentes.

    [2] NDR : bien que ce ne soit pas dans le sujet, j'observe que dans ce débat, il n'y pas été question de deux autres paramètres fondamentaux de l'économie américaine, le système de santé et les retraites, qui ont une incidence importante quoique indirecte sur les événements en cours. Ainsi, la nécessité pour les fonds de pension de disposer régulièrement de liquidités pour payer les rentes ne peut qu'avoir une incidence à la baisse sur une Bourse exsangue.

    [3] NDR : peut-être faudrait-il ajouter la brutale décision de la Réserve fédérale américaine d'élever son taux directeur (4 points).

    [4] NDR : j'ai des doutes (valeurs à vérifier). A noter que Warren Buffet a qualifié les produits dérivés "d'armes de destruction massive".

    [5] Cette présentation, sommaire, est un peu caricaturale, mais elle marque bien les oppositions. Dans la réalité les points de vue étaient plus nuancés.

    [6] NDR : des chiffres ont été donnés mais je ne les ai pas notés tous (dette totale, annuités de  remboursements nécessaires, etc.)

    [7] NDR : la Charte de La Havane (1948) n'a jamais été appliquée. Elle prévoyait notamment une organisation internationale du commerce sur un mode beaucoup moins libéral que l'actuelle OMC.

    [8] NDR : taxe récusée par son initiateur, le prix Nobel James Tobin. Proposée notamment par ATTAC, on ne la défend plus aujourd'hui comme mode de régulation des transactions financières, mais comme taxe permettant de lever des ressources fiscales à l'échelon mondial.

    [9] NDR : il faudrait vérifier si ce ratio correspond à la part des biens de consommation importés ou au contenu en importations de ces biens (cette valeur devrait être sensiblement supérieure en raison de l'importation des matières premières de base, y compris pétrole, nécessaires à leur fabrication : exemple de l'énergie consommée pour fabriquer des engrais indispensables à la production agricole).

    [10] NDR : à vérifier. Pour plus de précisions sur la question voir :  http://hussonet.free.fr/husso5.pdf


    4 commentaires



    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires