• Jean-Paul Knorr introduit le débat en rappelant brièvement l’histoire du concept de développement, concluant par l’interrogation : « Comment continuer à se développer aujourd’hui sans croître ? »    

    Jean-Paul Besset expose alors son diagnostic de la situation du monde, développé dans son ouvrage.   Deux crises existent aujourd’hui qui s’alimentent mutuellement :

    -          la crise sociale,
    -          la crise écologique

    et vont déboucher sur la crise de la raison. En effet, les injustices sont plus criantes que jamais, alors que la richesse globale a augmenté considérablement : le PIB a été multiplié par 7 en 50 ans, les inégalités ont été multipliées par 3 pendant la même période (chômage de masse, précarité, dette, implosion des modèles sociaux, délitage du « vivre ensemble »,…)   La sinistrose se répand (« Demain, ce sera pire… »). L’ascenseur social ne joue plus. Le progrès qui a conduit l’humanité vers le haut et le mieux être collectif ne joue plus. Le système ne fonctionne plus entre les hommes, entre les hommes et la nature, tous les fondamentaux sont en crise. Ce diagnostic sombre n’est pas une lubie d’écolo, mais il est issu d’observations scientifiques qui montrent que tous les indicateurs passent au rouge, à grande vitesse : le climat, la biodiversité, l’épuisement des ressources naturelles La crise est systémique : les fondamentaux du vivant sont en crise, provoquant la crise sociale, qui boucle à nouveau sur l’environnement. L’humanité a atteint les limites de son développement : le progrès ne peut continuer indéfiniment dans un monde fini, et cette idée de progrès s’est retournée en contre-progrès. Ce nouvel âge appelle de nouvelles réflexions par l’ébranlement des certitudes et des convictions acquises. Tout se brouille, on ne sait plus ce qui est bien ou non, la hiérarchie des valeurs change. C’est la fin de l’époque qui avait commencé au siècle des Lumières. Mais c’est aussi le début de quelque chose de nouveau, d’une métamorphose historique : on va passer de l’ère de l’opulence et de la démesure à celle de la rareté et de la pénurie. Pour s’y adapter, il va nous falloir aller vers des solutions de proximité, passer de la logique de l’offre à celle de la demande. Or aujourd’hui, on est démunis pour aborder ce basculement de civilisation. Nos élites de droite comme de gauche n’ont rien à proposer pour répondre à ce brouillage général des valeurs et à ces nouveaux enjeux. Les solutions ne sont ni de droite ni de gauche, les vérités sont claires et nécessitent des solutions nouvelles. Idéologiquement et techniquement, nous n’avons « rien en magasin », il n’y a pas de solution miracle cachée dans un coin pour résoudre les problèmes de l’eau potable, du gaz carbonique, de la photosynthèse des plantes, des forêts primaires à reconstituer, l’épuisement du pétrole puis du charbon,… La science n’apportera rien : le nucléaire ne peut remplacer les combustibles, les réacteurs de 4° génération et la fusion nucléaire ne seront pas au point avant des décennies et ne sont que des rêves d’ingénieur…Les « mix » énergétiques possibles sont nombreux , les « paniers énergétiques » variés, mais aucun ne nous permettra de vivre comme aujourd’hui.   Face à cette situation, les élites sont « sidérées », au sens propre, elles sont tétanisées, sans réaction. Elles regardent ailleurs et leurs réponses ne sont pas à la hauteur des enjeux.    

    Pourquoi ne croit-on pas à ce qu’on sait ?    

    Une partie de la réponse, c’est le blocage culturel fondé sur le mythe de la croissance : pour se développer, il faut de la croissance, c’est un dogme dont tout le monde parle, à droite, à gauche, et même à l’extrême gauche. Tout le monde veut doper la croissance, alors que c’est le contraire de la bonne réponse. Les seules divergences résident dans le partage des fruits de cette croissance. C’est la croyance irrationnelle au toujours plus, à la démesure, la boulimie de tout, l’ivresse de la transgression, du sans-limites, la croyance que tout est possible et qu’il suffit de le vouloir suffisamment fort pour que cela se réalise…Ceci est dans la tête de tout le monde, des individus, des structures économiques et sociales, et cela conduit à la destruction.   Alors, à qui la faute ?   Au capitalisme, au libéralisme sauvage ? C’est vrai en partie, mais c’est plutôt un vecteur, un accélérateur des problèmes qu’une cause réelle. En réalité ceci est secondaire, et il est sans intérêt de chercher des boucs émissaires. C’est la civilisation dans son ensemble qui est responsable, donc nous-mêmes, collectivement. C’est la finalité des désirs humains. C’est l’étourdissement du vide existentiel, la nouvelle aliénation. Voilà le fondement anthropologique de ce qui se passe. Si on oublie cela, on n’arrivera à rien, il faut porter le fer dans notre imaginaire :   il faut aller vers la décroissance.   Ceci est clair et net : il faut aller vers le « moins » et non vers le « plus » , il faut réduire notre empreinte écologique. Il faut agir de manière plus équitable, plus raisonnée, être plus sélectifs dans nos choix, ne pas laisser croire que la marche de la croissance est nécessaire et inévitable. La décroissance permet des solutions qui ne sont pas de récession ni de pénurie. L’accord de Kyoto est le premier accord de décroissance, il en faut beaucoup d’autres, sur les déchets, l’énergie, etc. Il faut s’interroger sur les choix et les priorités, et requalifier le progrès, dire clairement « croissance ou décroissance de quoi ? et pourquoi ? Tout n’est pas équivalent, mais il faut rééquilibrer le fonctionnement du système dans une période transitoire et aller vers la durabilité globale. Ceci se fera également par une reconquête de l’espace social et culturel : si on ne s’y met pas lucidement, si on n’opère pas cette décroissance en l’anticipant, elle nous sera imposée dans les faits, et là encore les pauvres seront en première ligne pour en faire les frais, et notre vernis démocratique n’y résistera pas longtemps.  

    -- O --    

    A la suite de cet exposé quelque peu sombre, Sylvie Faucheux, présidente de l’Université de Versailles-Saint Quentin expose son point de vue.   Elle indique d’abord qu’il faut s’entendre sur la terminologie et la signification des mots « croissance » et « décroissance ». Le développement n’est pas la croissance.   Elle rappelle que pour les premiers économistes, Ricardo, Stuart-Mill, la croissance n’est qu’un moment du développement des sociétés. Il y a des cycles de 200 ou 300 ans qui alternent l’une et l’autre, et l’objectif final est plutôt l’état stationnaire que la décroissance généralisée. Chez eux, l’accroissement du capital technique doit conduire à la décroissance des profits, liée à une répartition équilibrée des revenus.   La croissance économique est mesurée par le PIB. C’est en fait un indicateur de consommation, qui est très contesté pour en tant qu’indicateur de richesse. Par exemple, plus on consomme de pétrole et plus le PIB augmente, ce qui est stupide. Il ne tient pas compte de la qualité de vie ni des dégradations sociales et environnementales.   Concernant le changement climatique, la question s’est posée lorsqu’on a commencé à mesurer les impacts écologiques du développement économique à l’occasion de la crise de 1973. Ceci a conduit au concept actuel de développement durable, qui est un objectif pour une meilleure équité sociale sans impact négatif sur l’environnement. Ceci traduit le fait qu’on a pris conscience que le sort de toutes les sociétés est lié, qu’on le veuille ou non. Le changement climatique est le plus grand enjeu de ce siècle, et les économistes commencent enfin à s’y intéresser : voir le rapport de Nicolas Stern pour la Banque Mondiale, qui évalue à 5500 milliards de $ le coût des mesures à prendre pour l’ensemble du monde. « L’onde de choc » sera supérieure à celle de la crise de 1929, personne ne sera épargné, on évoque par exemple une crue exceptionnelle de la Seine en Ile de France.   Quelles solutions proposer ?   La France a un retard important par rapport aux USA, même si elle a signé le protocole de Kyoto et pas les USA. Il faut investir massivement en recherche et développement dans les énergies renouvelables, la conception des villes durables (transports, ZI à requalifier, déchets, eau, social, etc). Cela sera bon aussi bien sur le plan social qu’environnemental.   Pour les transports, cesser de construire des autoroutes, et faire porter l’effort sur les voitures économes et la réduction de leur nombre. En Allemagne, les constructeurs automobiles se seraient engagés à réduire en dix ans de 30% leur production de voitures.   Le développement de bâtiments énergétiquement efficaces, de l’agriculture péri-urbaine et de proximité, seraient par exemple source de métiers nouveaux et d’emplois à créer.   La fiscalité écologique doit être abordée franchement. SI elle est généralisée à tous les producteurs de polluants de toute nature comme dans les pays nordiques cela aurait un effet dissuasif sur les pollueurs, et cela substituerait des recettes fiscales à l’impôt sur le travail actuel. Malheureusement, les politiques sont frileux sur ces sujets qui ne passent pas bien dans les discours électoraux.   Quant aux pays du Sud, il est hors de question de leur demander aussi de s’engager dans une phase de décroissance alors qu’ils sont à peine au-dessus du seuil de pauvreté. Il faut essayer de définir avec eux une phase de croissance courte et efficace, dans une perspective de développement durable. En Inde, cela en prend le chemin, et des signes forts de changement se précisent en Chine. Pour cela, une volonté politique internationale est nécessaire. Il faudrait par exemple taxer les dégradations dues aux échanges commerciaux internationaux, et ce sujet sera à l’ordre du jour de l’après-Kyoto dès 2008. Il faut également accélérer le transfert de technologies vers les pays du sud, et ne pas nous refermer sur nous-mêmes.   Certes, le changement climatique n’est pas de droite ni de gauche. Par contre, les politiques d’action préconisées sont très différentes : la droite propose des solutions allant vers la privatisation des biens environnementaux, et table sur le développement des permis d’émission ; la gauche préfèrerait définir des biens publics à l’échelle mondiale. 

    -- O --

      Discussion :   Intervenant : estime que la condamnation du progrès qu’on voit dans le livre et dans l’exposé de JP Besset est très dangereuse. Le progrès a tout de même conduit à des changements non économiques de fond, tels que la libération de la femme, etc. Tous les maux ne viennent pas du progrès, au contraire on peut encore en attendre beaucoup pour résoudre au moins une partie des problèmes. La liberté n’est pas non plus la cause de nos maux, mais c’est la perversion de la liberté qui est en cause. Il ne faut pas condamner le désir, qui est un moteur puissant de l’action humaine. Il estime cependant que JP Besset est trop optimiste sur deux points :

    •  il y aura des conflits de pouvoir pour le contrôle des biens environnementaux, même si on s’y met, cela ne se passera pas tout seul ;
    •  l’homme ne pourrait pas réinventer la nature ? Si, il le peut, il n’y a qu’à voir les questions liées aux neurosciences, aux OGM, au clonage, etc. Et ce ne sera sans doute pas bénéfique

     JP Besset ne partage pas ce point de vue. Il estime que l’intervenant reste sur l’idée du progrès salvateur, alors que c’est justement cette idée qu’il faut d’abord éradiquer. Il faut que l’homme retrouve de la modestie car il est au sommet de l’évolution et tout dépend de lui. Si on reste sur une conception judéo-chrétienne à base de peuple élu roi du monde, on restera arrogants et on continuera à détruire. Voir ce qui se passe au Darfour, l’extrême immobilisme international sur ce sujet, c’est un concentré de ce qui se passe à l’échelle mondiale. L’homme déséquilibre la nature, il faut en prendre conscience et nous arracher à nos vieilles habitudes de pensée.    

    Benoît :  Après avoir indiqué que les exposés étaient trop longs et que le Darfour était hors sujet, il rappelle que les injustices sociales du temps de Zola étaient bien pires qu’aujourd’hui, même si on peut sortir des indicateurs d’inégalités croissantes. C’est après 1945 que l’économie sociale de marché a commencé à détruire la nature. Pour le pétrole, plutôt que se concentrer sur la recherche de substituts, il faut d’abord économiser l’énergie : vivre localement, voyager moins en avion, etc tout en gardant l’essentiel de notre mode de vie. Il considère que la décroissance n’est pas une solution, que cela va mettre tout le monde au chômage. Il vaut mieux créer des activités nouvelles dans le cadre d’une approche développement durable : croître sans détruire.    

    Jean-Pierre : On est en concurrence avec les pays du sud pour l’accès aux ressources énergétiques. Dans ces conditions, avoir un comportement social et responsable envers eux ne va pas aller de soi. Trouver un équilibre entre l’écologie, le social et l’économie dans nos pays du nord va devenir de plus en plus difficile. Par exemple, l’automatisation et les 35 heures ont diminué la pénibilité du travail humain, mais ces progrès sociaux ont conduit à une forte augmentation des consommations d’énergie. De même, le lissage de la TIPP avant 2002 avait pour objectif d’atténuer le choc de l’augmentation du prix de l’essence pour le consommateur, mais poussait à continuer à consommer autant, sinon plus et à ne pas changer ses habitudes. Depuis 2002, cela a été supprimé et les consommations se sont mises à baisser. Donc, oui aux taxes sur l’énergie pour économiser, mais attention aux contradictions intrinsèques aux volontés sociales et écologiques. Il faut donc être courageux, c'est-à-dire raisonner plus en ingénieur qu’en politicien… Et le progrès a permis aussi aux gens de vivre plus vieux et mieux. 

    Intervenant :  Les inégalités s’accroissent. Il prend pour exemple le scandale des salaires des PDG et le montant des 100 plus grosses fortunes, alors que les pauvres vivent moins bien qu’il y a 20 ans même s’ils gagnent plus qu’alors. L’ascenseur social est en panne en France, c’est plutôt un « descenseur », alors que ça marche mieux dans les autres pays.    

    Sylvie Faucheux : Précise pour JP Besset que le progrès technique n’est pas mauvais en soi. Mais il y a d’autres formes de progrès, par exemple organisationnel : à partir d’une vision de la société que l’on veut, de ses objectifs, dire comment y parvenir en s’organisant mieux, en utilisant les groupes participatifs. Mais il est vrai qu’il y a rejet de la demande sociale liée à certains progrès techniques. Elle pense également que la pensée des physiocrates du XVIII° siècle devrait être réactualisée, car elle s’appliquerait bien à la situation actuelle, alors qu’elle a été rejetée à l’époque car trop orientée vers l’agriculture et pas assez sur le commerce.    

    Jean-Jacques :  Revient sur deux points :

    •  Le progrès et la croissance : insiste auprès de JP Besset pour lui démontrer que le progrès n’est pas que technologique, et que, même dans cette acception restreinte, on a besoin de faire des progrès techniques pour résoudre certains problèmes écologiques (rendement des énergies renouvelables, carburants biologiques, etc). Si on devient dogmatique sur cette question, on va aussi à la catastrophe, car on n’aura pas de solutions alternatives.
    • De même, il ne faut pas amalgamer croissance et développement. Il faut que l’on continue à se développer, sans consommer plus : vivre autrement, se développer culturellement, car on détruit moins quand on est conscient de ce qu’on fait, c'est-à-dire qu’on a reçu au départ une éducation et des connaissances suffisantes.
    •  Ensuite, il s’étonne que le problème majeur n’ait pas été évoqué par les deux intervenants : celui de la population du globe. Si on n’était que 100 millions sur Terre au lieu de 6 milliards, on ne se poserait même pas ces questions d’empreinte écologique et d’épuisement des ressources. Le premier problème à régler est donc celui de la natalité et donc du contrôle des naissances à l’échelle mondiale. Sinon, la seule manière de résoudre la question sera le conflit généralisé et la destruction réciproque. Avant d’en arriver là, il faut donc avant tout, encore une fois, développer le niveau l’éducation de tous, car il est bien connu que les populations éduquées pratiquent le contrôle des naissances de manière réfléchie et efficace, sans contrainte du style de l’enfant unique en Chine. En attendant la décroissance de la population prévue par les démographes à partir de 2050, il y a une période difficile à gérer, et c’est de cela que l’on parle ici.

      Jean-Paul Besset :  N’est pas d’accord sur la tonalité générale du débat, en particulier sur le sens que tout le monde semble donner à la notion de progrès. Il estime qu’on raisonne toujours avec l’idée sous-jacente que le progrès aide à résoudre les problèmes alors qu’il faudrait d’abord et avant tout se débarrasser de cette conception qui ne peut rien résoudre si on a toujours en tête l’idée de croissance continue des richesses disponibles, qui est le consensus culturel dominant. C’est en ayant un état d’esprit différent qu’on arrivera à s’en sortir, pas en restant dans le système avec des concepts tels que le développement durable. Il faut « décoloniser l’imaginaire ».   La décroissance qu’il appelle de ses vœux n’est pas l’arrêt du développement ni la porte ouverte au chômage. Et pourtant les PVD prennent un mauvais chemin en prenant le nôtre et en raisonnant en termes de % de croissance du PIB.  

    Intervenant : Partage peu d’idées avec JP Besset. En effet, s’il est d’accord sur le fait qu’il va y avoir un grand basculement de civilisation avant la fin du siècle, il estime que le discours de JP Besset se contente de dénoncer ce qui ne va pas et ne propose rien pour réagir : JPB est contre, mais ne dit pas ce qu’il veut mettre à la place. Lui pense que l’approche du développement durable est tout à fait nouvelle, car elle introduit la notion d’équilibre entre l’économique, le social et l’environnemental, ce qui a du sens. Certes, il n’y aura pas de « grand soir » technologique qui nous sortira miraculeusement de l’impasse, mais il y a des solutions dans l’innovation et la technologie écologiquement contrôlée. En particulier, il pense que le virtuel nous permettra de faire beaucoup de choses de manière quasiment identique, sans impact écologique. Il prend l’exemple de la FNAC, qu’il estime être un « musée du passé », car pour acheter un DVD aujourd’hui, il faut : prendre sa voiture ou le train, aller à la FNAC, se garer, déambuler dans les rayons, acheter un DVD, et repartir ensuite ; de plus, il y a pour la musique un support matériel : le disque, qu’il faut fabriquer, transporter, vendre, recycler. Demain, on restera chez soi, et on téléchargera la musique directement, sans autre support matériel que son ordinateur. Il pense également que les vraies solutions ne seront pas de droite, car celle-ci vise toujours et avant tout la profitabilité. Il faudrait donc énoncer de nouvelles règles, de nouvelles normes, de nouveaux critères pour contrôler le libéralisme existant. Enfin, il n’y a pas conflit entre l’ingénieur et le politique : le premier s’occupe de mettre au point des solutions technologiques, le second s’intéresse à l’usage qu’on peut en faire.    

    Eric : Organise bientôt un débat sur le numérique et Google (Librairie du Pavé). Il a lu le livre de JP Besset, celui d’Attali et a vu le film d’Al Gore. Il en conclut qu’actuellement nos politiques se fourvoient et n’ont pas une claire vision des véritables enjeux. Ce qui nous attend, c’est le besoin des populations du sud qui fera craquer notre vernis démocratique, par exemple pour les questions d’accès à l’eau potable (700 millions de personnes vont être déplacées pour cela dans les prochaines décennies). Il a peur que les solutions ne soient que réactionnaires si on n’anticipe pas.  

    Intervenant : Partage le diagnostic de JP Besset, mais pense que le progrès, c’est d’abord faire toujours mieux, ce qui est différent de toujours plus. Il ne faut pas dénoncer ainsi le concept de progrès. Quant à la natalité, elle baisse partout, et c’est le développement qui la fait baisser. Par contre, si elle continue de baisser dans l’Union Européenne, on aura dans dix ans une décroissance économique globale non voulue. Le vrai problème dans ce cadre, c’est l’excès de vieux : ils consomment, mais ne produisent plus…  

     JP Besset :  Le progrès a certes fait beaucoup de bien à l’humanité dans le passé. Mais aujourd’hui, il ne peut constituer la solution du problème. Le développement durable n’est qu’un oxymore, car tout le monde s’en saisit sous l’aspect « développement » et l’habille plus ou moins hypocritement d’un vernis de durabilité. La durabilité est contradictoire avec le développement. Il faut donc absolument rompre avec le développement et passer le plus vite possible à une phase de décroissance. C’est vrai sur le plan économique, c’est aussi vrai sur le plan énergétique : il ne s’agit pas simplement d’essayer de substituer d’autres énergies, même renouvelables, au pétrole, il faut faire décroître la consommation énergétique totale Les solutions ne sont ni de droite ni de gauche ; la preuve, c’est que le plus en pointe sur la fiscalité écologique aujourd’hui, c’est Nicolas Sarkozy. Les normes non plus ne sont pas de gauche, tout se brouille. Il faut sortir de cet état d’esprit, ne pas rester dans les mêmes illusions, sinon on n’y arrivera pas. On remarquera d’ailleurs que les intellectuels sont étrangement absents de ce débat.    

    Sylvie Faucheux : La différence entre croissance et développement est un vieux débat. Au XIX° siècle déjà, le combat existait entre les pessimistes (Malthus) et les optimistes (rationalistes, positivistes,…), à partir d’un consensus sur le diagnostic. La différence réside dans la manière de s’en sortir : la seule manière de combattre l’entropie qui croît toujours dans un système fermé, c’est la décroissance. Mais sous ce terme on peut envisager : l’optimisation de la croissance, la diminution de la population, l’équilibre du développement durable issu d’une co-évolution et de rétro-actions entre les trois piliers. Le débat à ce niveau doit être d’abord philosophique. Concernant la dématérialisation, elle n’est pas très optimiste : les impacts environnementaux ne sont pas négligeables, mais on ne sait pas encore mesurer les impacts négatifs de l’innovation technologique.    

    Marie-Odile : Partage le diagnostic de JP Besset, en particulier sur la réalité de la crise humaine et philosophique, et sur la nécessité de revenir au sens de la vie, à la nécessité de consommer ou non tout ce qui est offert. Le bonheur n’est pas dans la consommation, par exemple la démesure actuelle dans le domaine des jouets. Par contre, elle n’est pas d’accord sur la forme : « décroissance » est un terme négatif qui fait peur et dérange, et ne pousse pas à s’intéresser au contenu. Préfèrerait que l’on parle de « stationnaire », car on ne peut bloquer magiquement le désir humain, ni l’empêcher de faire ce qu’il veut. Il ne faut pas sombrer non plus dans le catastrophisme. Concernant la population, elle continue de s’accroître, mais toutes les simulations montrent qu’après 2050 environ elle va se mettre à décroître. C’est une régulation naturelle, qui se fera d’elle-même. Ceci n’empêche pas de réfléchir à ce qu’on doit faire pendant cette période où les hommes n’auront jamais été aussi nombreux sur Terre.    

    Intervenant : Le progrès, c’est le mieux plutôt que le plus : pourquoi vouloir 2, 3 ou 4 voitures lorsqu’une seule suffit ? Il faut équilibrer consommation et amélioration du cadre de vie. La décroissance ne peut s’appliquer aux PVD, ce serait injuste. Il vaut mieux montrer un maximum d’exemples où on a fait mieux avec moins. Et ne pas prendre l’Afrique pour la poubelle du monde libéral qui est le nôtre.


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